Histoires de Charlots
Chez les Charlots, je ne sais jamais lequel est Alfred, Émile, Marcel, Félix ou Lucien. Mais ce dont je suis sûre, c’est que je les aime depuis leurs débuts.
La première fois que j’ai vu les Charlots, ce n’était pas sur une scène, comme le commun des Français, mais dans un restaurant de Saint-Germain-des-Prés, où le destin (oui, encore lui) nous avait fait nous rencontrer. Ils étaient attablés tous les cinq autour d’une longue table, s’adonnant à une absorbante occupation généralement désignée par la plupart des gens à l’aide du verbe « manger », mais qui, les concernant, aurait été beaucoup mieux définie par un éventail de mots tels que : braire, concasser, s’engorger, exploser, bêler, éclater, roter, bâfrer, tempêter, délirer et j’en passe…
Derrière sa caisse, le malheureux patron de l’établissement comptait des moutons pour ne pas trop songer aux côtes d’agneau qui volaient dans les airs, traçant des trajectoires fantaisistes. Pendant ce temps, les serveurs, imperturbables et insensibles à l’humour des clients, continuaient à clamer dans les allées menant aux cuisines : « Et une piperade pour la huit, une ! » Je pensais assister à une petite fête paillarde organisée pour célébrer quelque anniversaire, mais j’appris plus tard qu’ils étaient là par hasard, pressés et déprimés. Bref, c’était un instantané on ne peut plus classique de leur vie !
Pourtant, moi, qui ai toujours respecté la purée de pommes de terre et l’ai toujours associée à une assiette et une fourchette, j’étais quelque peu surprise de voir ladite purée partir en salves sur les costumes des clients, jaillir en feu d’artifice, retomber en étoiles sur les tables voisines et parfois, miraculeusement, atteindre la bouche d’un convive ! Une scène qui m’enleva tout appétit, sauf celui de mieux connaître ces joyeux drilles, rabelaisiens en diable.
Une amitié joyeuse et talentueuse
Depuis cette date (il y a un an et deux jours), j’ai largement eu le temps de les fréquenter. Ils sont devenus non seulement d’excellents copains avec qui j’aime bien rire, mais aussi mon groupe français préféré. Les Charlots ont beaucoup de talent. Sans eux, le rire aurait en grande partie disparu de la chanson pop en France. Ils ont choisi une voie difficile, car faire rire le public n’est pas de tout repos, mais ils ont brillamment réussi.
Si vous avez déjà assisté à un de leurs spectacles, vous avez sûrement ri jusqu’à en être malade. Lors de leur passage à l’Olympia, j’ai eu la chance inouïe d’avoir une place au premier rang et j’ai été sidérée par leur sincérité et leur perfection technique.
De plus, ils savent se renouveler, et le dynamisme de chaque membre du groupe est à toute épreuve. Les Charlots ? Je les aime tous les cinq, même si chacun a sa personnalité propre.
Portraits des membres du groupe
Alfred, le chanteur soliste et leader, est un comédien plein d’idées et de résolutions, un vrai pince-sans-rire à ses heures. Il est passionné par son métier et adore bricoler son spider Alfa Romeo 1600, une passion héritée de son père garagiste.
Félix est le plus étourdi du groupe, toujours dans la lune, probablement à cause de sa passion pour l’astrologie, dans laquelle il excelle. C’est lui qui tient à jour l’agenda du groupe, en fonction des astres. Dans la vie, il est un grand gaffeur, souvent maladroit devant les grands du show-business, ce qui lui vaut les moqueries de ses camarades, qui se vengent sur scène en le nommant « receveur de baffes officiel ».
Lucien (de son vrai nom Luis Rego) est un ancien prisonnier politique portugais. Il est à la fois humoriste et chanteur, souvent second derrière Alfred. Sur scène, il excelle dans des numéros de rock old-school. Je l’adore pour sa gentillesse et sa spontanéité rares.
Émile a un passé d’auteur. Il est le créateur de « Chauffe Marcel », la chanson qui a lancé les Charlots. C’est le perfide du groupe, un expert des « vannes » et des bagarres, notamment celles de tartes à la crème !
Marcel, le plus grand par la taille, est un rouquin flegmatique passionné de mini-racing. Il est reconnu à Paris pour sa maîtrise des mini-racers, mais sur scène, il joue de l’accordéon (qu’il déteste !).
Une communauté unique
Les Charlots vivent ensemble dans une communauté autonome et autarcique. Le rire, la bonne humeur et le partage des responsabilités sont leurs mots d’ordre. Chaque moment de leur quotidien devient une source d’inspiration pour un nouveau gag, qui enrichira peut-être leur spectacle.
Ils ne se prennent pas au sérieux, ce qui est rare dans leur milieu. Aucun n’est cabotin, et tous conservent une attitude saine face à leur succès. Pourtant, ce sont des perfectionnistes insatisfaits. Ils rêvent d’un spectacle élaboré combinant comédie, chant, danse et fantaisie. Alfred, l’âme du groupe, y réfléchit déjà avec prudence. Sa devise est éloquente : « À vouloir aller trop vite, on finit toujours par se casser la gueule. »
Dans quelques mois, je suis certaine que les Charlots nous offriront un spectacle extraordinaire, mêlant bruit et rires – leur raison de vivre.
Mon petit chouchou c’est mon frère Patrice. Voici 5 ans que Patrice, le frère de France Gall, “mijotait” de sortir son premier disque. Avec “Chimène”, il a remporté un succès d’estime. Quel sera son avenir ?
Patrice Gall et la grande aventure musicale
Mon frère a longuement hésité avant d’enregistrer sous le nom de Patrice Gall. Les garçons ont leur fierté :
« Cela m’ennuie de profiter de ton nom dans la chanson pour tenter de m’imposer », disait-il.
Mais Gall est notre nom, le symbole de notre petit clan bien sympathique, alors il n’y avait pas de raison pour que Patrice décide de s’appeler « James Colorado » ou « Patrice Gaulle ».
Une passion musicale depuis toujours
Maintenant, c’est fait : Patrice s’est lancé dans la grande aventure.
Oh, ce n’est pas le résultat d’un coup de foudre. Cela faisait bien longtemps que l’idée d’enregistrer lui trottait dans la tête. En réalité, c’est plutôt Philippe (mon autre frère, jumeau de Patrice) et moi qui avions toujours conseillé à Patrice de faire carrière.
Quoi d’étonnant ? Papa a toujours vécu dans la musique, et mes frères et moi avons baigné dans cet univers depuis notre plus tendre enfance. Nous avons connu les mêmes disques, développé les mêmes goûts, ressenti les mêmes aspirations.
Patrice (comme Philippe) est mon aîné d’un an, puisqu’il est né le 30 mai 1946. Nous n’avions que treize ou quatorze ans quand éclata la révolution du rock and roll. À l’âge où d’autres sont fous de bicyclette, de couture ou de football, nous étions déjà des fans absolus de musique pop grâce à l’environnement familial dans lequel nous vivions.
Certes, nous aurions pu nous passionner pour la chanson traditionnelle ou pour la mélodie française – papa était l’un des spécialistes avertis de ce genre et écrivait pour des artistes comme Édith Piaf ou Charles Aznavour. Mais le choc du rock et de la musique américaine nous avait déjà marqués. Dès quatorze ans, Philippe, Patrice et moi grattions nos guitares à la maison, le soir, après les cours, en cherchant à imiter Elvis Presley et Little Richard.
Un talent encouragé par la famille
Si je dois beaucoup à la compréhension de papa pour ma carrière, je suis persuadée que Patrice pourra dire exactement la même chose lorsqu’il se sera imposé. Papa marche « à fond » avec nous et fera tout pour que Patrice réussisse.
Mais réussir, ce n’est pas facile. Patrice a beaucoup de talent – c’est, du moins, ce que j’appelle les sources de l’émotion que je ressens lorsqu’il interprète l’une de ses chansons. Pourtant, il est encore trop timide pour surmonter tous les obstacles qui risquent de se présenter à lui. Heureusement, cette aide, il l’a déjà dans le clan familial.
Qui est Patrice ?
Pour les fans d’astrologie, Patrice est Gémeaux. Pour les autres, c’est un garçon vif, intelligent et sensible. Si j’ai toujours adoré mes deux frères, je dois avouer que Patrice est « un tout petit peu » mon préféré.
Durant notre enfance, il a souvent manifesté sa douceur à mon égard. Philippe, plus turbulent, adorait me faire des farces, me tirer les cheveux, et ces jeux de garnement me faisaient souvent pleurer. C’était Patrice qui venait consoler mes gros chagrins.
Un parcours brillant et une passion affirmée
Patrice a toujours été très doué en classe. Élève brillant, particulièrement dans les disciplines scientifiques, il a obtenu ses deux baccalauréats à seize ans. Il aurait pu devenir un excellent ingénieur, mais son goût pour la musique l’a poussé dans une autre voie.
Papa n’a pas rechigné lorsque Patrice a annoncé qu’il préférait renoncer à la faculté pour écrire des chansons. Il savait que Patrice ferait d’excellentes choses dans ce domaine.
De fait, Patrice écrivait déjà de nombreuses chansons pour son plaisir. Cette activité, qu’il considérait comme une simple détente, a fini par le passionner au plus haut point. Moi-même, je lui dois plusieurs mélodies que j’ai enregistrées, comme « Celui que j’aime », « La Guerre des chansons » ou « Le Temps de la rentrée ». Patrice adorait aussi fredonner ses œuvres, et à force de l’entendre chanter à la maison, Philippe et moi avons conseillé à papa de l’écouter sérieusement et de lui proposer d’enregistrer.
Un premier disque, un premier engagement
Patrice a mis longtemps à se laisser convaincre. Son souci du travail bien fait le poussait à attendre. Aujourd’hui, après avoir longuement peaufiné ses chansons – tant au niveau des textes que des mélodies – il se sent prêt. Il vient de tenter sa première expérience avec un premier disque.
Un tel engagement, Patrice le sait, est exigeant. Il devra « s’accrocher », mais il est bien préparé. Il a déjà une réserve de plus de quarante jolies chansons, dont certaines pourraient devenir de grands succès.
L’expérience de la scène
Pour Patrice, on ne peut être un véritable artiste sans l’expérience de la scène. Il s’y prépare avec beaucoup de rigueur. Pour se roder, il a choisi la meilleure école : celle des petits cabarets, où le contact avec le public est direct, spontané et franc.
Durant les semaines à venir, il se produira dans des lieux comme le Don Camillo, Chez Patachou ou Chez ma Cousine. Bien sûr, j’irai applaudir mon frère chaque soir !
Une fierté fraternelle
Déjà, je formule un souhait :
Que, dans quelques mois, on dise en parlant de moi :
« France Gall ? Ah ! Oui, la sœur de Patrice, le chanteur… »
Et croyez-moi, ce n’est pas de la fausse modestie !
Magazine : Salut les copains
Date : Juillet 1968
Numéro : 72