France Gall : l’amour me fait gagner tous les combats

France Gall fait sa rentrée au Zénith (jusqu’au 7 octobre). Ce nouveau récital a été entièrement écrit par son mari, Michel Berger. « Je suis son interprète idéale », a-t-elle affirmé à Michel Drucker qui l’a interviewée en exclusivité pour « Paris Match ».

Michel Drucker : Il me semble que depuis quelques années vous avez découvert le bonheur de communiquer avec le public. Comment expliquez-vous que vous ayez attendu si longtemps avant d’établir ces nouveaux rapports avec lui ?

France Gall : Cela s’est fait simplement. Parce que je chante des textes qui me ressemblent. Enfin ! qui racontent mes émotions, des choses auxquelles je suis sensible. Le public se retrouve dans mes chansons. C’est parce que nous parlons le même langage que nous sommes devenus si proches.

Michel Drucker : Vous n’étiez pas contente de ce que vous chantiez, avant ?

France Gall : Ce n’était pas moi. J’étais mal dans ma peau. Or, l’important c’est de garder son identité.

Michel Drucker : Vous avez dit récemment qu’entre 1970 et 1974 vous aviez eu envie d’abandonner ce métier, et que vous aviez frôlé la dépression …

France Gall : Frôlé ? J’ai fait une dépression ! Quand tout a marché très fort et que ça ne marche plus … certains se réfugient dans la drogue, d’autres se jettent par la fenêtre, quelques-uns font une dépression et s’en sortent. Je suis quelqu’un de très équilibré, et je crois que je m’en suis tirée parce que j’ai eu une enfance très heureuse et choyée.

Michel Drucker : La famille est un mot que vous employez souvent …

France Gall : C’est capital pour moi. Ma famille n’est d’ailleurs pas étrangère à ce que je fais, car on est dans la musique depuis des générations. Nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes.

Michel Drucker : Vous avez vécu très tard avec vos parents.

France Gall : Oui, jusqu’à 23 ou 24 ans. Ils ont fini par partir !

Michel Drucker : Pourquoi ?

France Gall : Ils estimaient qu’il n’était pas très normal qu’à mon âge je vive encore avec eux. Pour eux, il était temps que je vole de mes propres ailes. Ils sont donc partis. Je n’avais jamais appris à me battre et j’ai eu beaucoup de mal à me débrouiller seule. Ce fut ma période noire, dépressive …

Michel Drucker : Parce que vous vous retrouviez seule ?

France Gall : Je n’étais pas seule, car j’ai toujours été très entourée, mais je n’avais plus rien, après avoir été quelqu’un de très connu.

Michel Drucker : Si Michel Berger écrivait pour d’autres chanteuses que vous, cela vous poserait-il un problème ?

France Gall : D’emblée, j’ai envie de vous répondre oui. Mais en y réfléchissant, je me dis qu’il a déjà écrit pour d’autres chanteuses, et leur interprétation a beaucoup apporté à ses chansons. Je ne me fais aucun souci : je pense être pour lui l’interprète idéale. Je ne crains pas les autres.

Michel Drucker : Vous avez la réputation d’être une « enquiquineuse », parfois même de manquer de gentillesse. Cette réputation est-elle usurpée, injuste ? Vous gêne-t-elle ?

France Gall : Je découvre, avec votre question, que je manquerais donc parfois de gentillesse … Quant à ma réputation d’emmerdeuse, je l’assume. J’ai du caractère. A partir du moment où l’on n’accepte pas systématiquement de faire ce que l’on exige de vous, on vous traite d’enquiquineuse.

Michel Drucker : Si vous n’aviez pas eu d’enfants et si vous n’aviez pas de foyer, avez-vous l’impression que vous pourriez être une plus grande vedette encore ?

France Gall : Peut-être. Mais je ne peux imaginer un seul instant ne pas avoir de foyer, d’enfants … À 18 ans, je rêvais déjà d’en avoir. Or, quand j’ai eu vingt-huit ans j’ai appris que je ne pouvais pas être mère. Cela a été un choc terrible. Comme toutes les femmes qui ont ce genre de problème, j’ai fait le « parcours du combattant ». Pendant deux ou trois ans, j’ai vécu une période absolument atroce. J’ai été récompensée, puisqu’aujourd’hui je suis la maman de deux beaux enfants.

Michel Drucker : Dans un couple, et à plus forte raison un couple d’artistes, il y a parfois des rapports de force. Est-ce le cas dans le couple Gall Berger ?

France Gall : Il n’y a aucun rapport de force entre Michel et moi. Cela vient d’abord du fait que nous nous adorons et que nous nous respectons. Et puis, nous réussissons tous les deux dans notre métier. Si Michel n’avait pas percé en tant que chanteur, je suis sûre que nos rapports auraient été différents. Je vends beaucoup de disques. Lui a le don de l’écriture. L’équilibre entre nous est parfait.

Michel Drucker : Comment vous voyez vous dans dix ans ? Vieillir vous fait-il peur ?

France Gall : Oui, cela me fait assez peur … Pourtant, quand je prépare un spectacle comme celui du Zénith, je suis tout de même rassurée car les gens me disent : « C’est extraordinaire, le temps passe sur vous sans laisser de trace ». Je dois reconnaître qu’en ce moment j’ai vraiment la « pêche » ! Jusqu’à présent, j’ai réussi ma vie de femme. Ce que je veux, c’est ne pas rater ma sortie d’artiste !

Magazine : Paris Match
Par Michel Drucker
21 septembre 1984
Numéro : 1843

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