Cette compilation est éditée en 2005 et regroupe 21 titres de France Gall parus entre 1963 et 1968. C’est en réalité une (presque) réédition de la compilation de 2001, Poupée de son, avec une nouvelle couverture et quelques différences sur les titres et le livret.
Cette édition comporte de nouveaux titres : Le coeur qui jazze, Le temps de la rentrée, Boom boom, Les yeux bleus, Gare à toi … Gargantua, Avant la bagarre, Le temps du tempo, Dady da da.
Les titres suivants ne sont plus disponibles sur cette édition : Bonsoir John-John, Dis à ton capitaine, l’Amérique, Mes premières vraies vacances, N’écoute pas les idoles, Ne dis pas aux copains, Pense à moi, Polichinelle, Quand on est ensemble, Sacré Charlemagne.
Ce disque contient un livret en couleur de 20 pages commenté par Eric Didi, auteur de nombreux livrets ayant accompagné les intégrales CD de Léo Ferré, Alain Souchon, Michel Sardou ou Michel Berger. Les commentaires sont les même que dans l’édition de 2001, mais pas (toutes) les photos.
“N’écoute pas les idoles”, chante France Gall, sur un texte de Serge Gainsbourg, en 1964. Conseil avisé, certainement, mais que nous allons, une fois encore, nous abstenir de suivre, comme d’habitude, comme toujours. Car la petite France, la benjamine des stars de la nouvelle chanson française, est trop craquante, en ce début des sixties, pour qu’on puisse renoncer à poser le saphir sur le vinyle du disque. Ecoutons donc, à nouveau, ce “tube” de France, son deuxième après “Ne sois pas si bête”. Il est à l’image de cette toute jeune fille (elle est née en 1947) : nature, fougueux, lumineux, rythmé, dansant. Il est parfait. France complète le spectre de la galaxie copains aux côtés d’Eddy (le puriste du rock’n’roll), de Johnny (le Dieu vivant descendu sur scène), de Sylvie, de Sheila et de Françoise, les trois grandes sœurs, les trois copines … France, c’est l’adolescence faite chanson. Avant elle, l’emploi n’existait pas, ou si peu. Avant elle, les “vedettes” de la chanson française avaient 30 ou 40 ans, étaient des vieilles ou des “croulantes”, pour reprendre les termes de l’époque.
France, elle, balaie ce concept de chanteuse mûre et austère d’un revers de mèche blonde. Elle est jolie, elle est directe, elle a des dents de lait, des yeux charmeurs. Elle est la fille qui danse au milieu de la piste, point de mire des garçons qui s’approchent d’elle comme on se tourne vers le soleil, parce qu’elle est la plus souriante, parce qu’elle est la plus vivante. En 1965, France bouscule les hit-parades et impose “Sacré Charlemagne”, une chanson que lui offre son père, Robert, une comptine qui lui fait un peu peur, semble-Hl, parce qu’elle se méfie de cette image de collégienne, qui lui va si bien, mais qui pourrait lui coller un peu trop à la peau. Elle assume cependant ce rôle, qui est celui de son âge, et qui correspond si parfaitement à l’époque : l’insouciance, le bonheur, parfois gâté par les petits soucis d’une douce fille de 16 ans. Qui aurait pu croire qu’un grand méchant loup ne ferait qu’une bouchée de ce petit chaperon twist et que ce mariage de l’écolière et du pianiste de bar serait une des plus belles aventures de la chanson française contemporaine ? En cette année 1964, un poète-compositeur du nom de Serge Gainsbourg se morfond dans sa soupente. Auteur d’une cascade de chef-d’œuvres (“Le poinçonneur des Lilas”, “La chanson de Prévert”, “La javanaise” … ). il a fait son trou (des p’tits trous, toujours des p’tits trous) auprès des vestales de la vague précédente : Gréco, Sauvage, Arnaud le chantent et c’est déjà beaucoup.
Mais l’homme sait que les temps changent, que le music-hall de papa se meurt, que les Beatles ont tout bouleversé. Et cette petite France, légère comme une bulle de champagne, spontanée comme une chanson des Beach Boys, qui a dans l’œil l’air coquin des gamins de son âge, cette fillette déjà femme serait le vecteur idéal pour la réalisation de son projet : créer des chansons “jeunes” qui seraient aussi solidement charpentées que les œuvres d’une Piaf, le côté jerk en plus. Première collaboration, premier succès, “N’écoute pas les idoles” ouvre la voie à une vraie complicité.
“Laisse tomber les filles” suit la même courbe ascensionnelle au sommet du hit-parade. Puis le tandem Gainsbourg-Gall décroche le jackpot avec “Poupée de cire poupée de son”, qui est couronnée, le 20 mars 1965, par le Grand Prix de l’Eurovision, avant de connaître une carrière internationale (Allemagne, Italie, la plupart des pays francophones … ).
Grâce à ces fameuses poupées, Gainsbourg se réinsère dans le club très fermé des auteurs à succès (le disque de France atteint le score, exceptionnel pour l’époque, de deux millions d’exemplaires vendus). Quant à France, elle se débarrasse enfin de son image d’éternelle benjamine pour étoffer son personnage, un personnage qui joue désormais dans la cour des grands. La collaboration France Gall/Serge Gainsbourg est aujourd’hui légendaire. C’est un peu la belle et la bête, version Salut les Copains, une belle histoire, sinon d’amour, du moins de connivence musicale au sommet, ponctuée par une série de vignettes de facture si élégante qu’on en oublie, à l’époque, l’étrange fossé qui se creuse entre ces mélodies aériennes et ces textes à sens multiples qui disent la sensualité ou la gravité des amours adolescentes. Avec son septième disque, France retrouve une fois de plus le chemin des hit-parades. “Attends ou va-t’en” est LE nouveau Gall/Gainsbourg, les deux G de la chanson française. Leur belle aventure commune continue, à l’approche de Noël, avec “Baby pop”. La chanson confirme la passion de France pour ces perles venues d’outre-Manche, signée Lennon-McCartney, que Serge, lui aussi, range dans sa discothèque. À cette époque, France visite les copains à domicile et entreprend de grandes tournées à travers la France qui accroissent encore sa popularité. Avec son dixième 45 tours, ces célèbres sucettes à l’anis, France atteint au sommet de l’ambiguïté de son art. Aujourd’hui, “Les sucettes” sont devenues ce qu’elles ont toujours été : une chanson tendrement pop, plus insouciante que provocante, avec textes à tiroirs et sous-entendus habilement dissimulés dans les replis mousseux d’une mélodie légère comme un zest de brouillard sur Carnaby Street.
“Les sucettes” serviront une polémique de trente ans (Etait-il si cynique ? Etait-elle si naïve ?) qui est à l’image de ces années de miel adorable, surannée, amusante et finalement sans conséquence. En juin 1966, France échappe à la polémique et s’envole pour le Japon qui a pour elle les yeux de la passion. Elle y donne une douzaine de récitals qui sont autant de triomphes. En 1967, France s’offrira une dernière petite provocation, en compagnie de Serge Gainsbourg, avec le détonnant “Teenie Weenie Boppie”, très dans la manière de ce temps-là qui aime bien jouer avec les rêves chimiques et les matières psychédéliques. Mais la France Gall des années soixante n’est pas, loin s’en faut, uniquement la “créature” de Gainsbourg. C’est une star authentique, servie par une cohorte d’auteurs-compositeurs, parmi les plus brillants, qui ont repéré depuis longtemps ses talents singuliers d’interprète. Ainsi, “Ne sois pas si bête”, adaptation par Pierre Delanoë d’un hit anglo-saxon, est-il le titre phare de France sur son premier quarante-cinq tours, et son premier succès, à l’automne 1963.
“Mes premières vraies vacances”, sortie l’année suivante, est signée par le tandem Datin-Vidalin. La chanson est chouchou de l’émission Salut les Copains dont France est un peu la mascotte. Les mêmes auteurs retrouvent la formule magique avec “Christiansen”, quelques semaines plus tard. Première ballade romantique et onirique enregistrée par France, cette chanson douce-amère bouleverse le petit cœur des teenagers, soumis à rude épreuve entre un tube de Chuck Berry et un blues des Rolling Stones. Autre duo de référence qui va se pencher sur le berceau de la jeune France. l’équipe Eddy Marnay-Guy Magenta transcrit avec justesse les aspirations des adolescents de ce temps-là, fascinés par James Dean et exaltés par les chorégraphies lyriques du film “West Side Story”. Dans “L’Amérique”, France se fait le porte-parole de sa génération, celle qui dirige son regard, de l’autre côté de l’Atlantique, pour en savoir plus sur la patrie du rock … et du western. Citons encore “Bonsoir John John”, chanson qui parle aussi des EtatsUnis, mais autrement, de façon plus tragique, un peu comme si Bob Dylan était passé par là. À travers la fragilité d’un tout petit garçon, un fils de président assassiné à Dallas. et dont la détresse muette a bouleversé le monde, France atteint à l’universel.
Souvent attribué à la plume acérée de Gainsbourg, “Bébé requin” est en fait un réjouissant exercice dû en partie à Joe Dassin, dont la propre carrière s’envole vers les sommets à la même époque. En 1968, à la veille de se séparer de Philips, la maison de disques de ses vingt ans, France peut être fière de cette première décennie de succès. Ses chansons sont excellentes, son image a su épouser son temps, sans s’altérer, bien au contraire. La petite écolière espiègle a maintenant un look d’étudiante moderne : la mue est accomplie. Egérie naturelle de Gainsbourg et de beaucoup d’autres, France entre dans une période incertaine qui va durer un peu plus de cinq ans. Pendant cinq années, la jeune femme, qui sait que le monde a changé, cherche la clé pour coller à nouveau à l’esprit de l’époque. Après quelques hésitations, elle remet son destin entre les mains d’un jeune auteur-compositeur-producteur du nom de Michel Berger. C’est reparti pour deux décennies au sommet. France réussit ainsi une nouvelle mutation, mais personne n’a oublié pour autant ses interprétations de la première époque, son âge d’or, cet âge secret et fragile des premiers émois amoureux qu’elle a su personnaliser et incarner comme personne et qui reste d’une inépuisable actualité.
Eric Didi
REF : Polydor – 983 079-6
Année : 2005
Photos recto : Patrick Bertrand
Photo verso : Odile Montserrat
Photos du livret : Rancurel photothèque, Patrick Bertrand, André Berg, Odile Montserrat et Tony Frank
Conception et sélection des titres : Jean-Pierre Haie et Guillaume Crisafulli / Universal Music France / Jean-Pierre Haie et Saida Chaklout
Design : Pictus