Gold (Compilation – 2CD)

Compilation Gold de 2006 au format double CD qui contient 32 titres originaux de France Gall de 1963 à 1968. Cette édition contient un livret commenté de 6 pages avec des photos qui illustrent les périodes.

Texte retranscrit du livret

Un raccourci trop souvent emprunté conduit à ce lieu commun : c’est en rencontrant Michel Berger en 1974 que France Gall aurait véritablement entamé sa carrière de chanteuse, glissant subitement de l’habit de poupée (de cire, de son) au tailleur fait sur mesure de la femme adulte et épanouie, citoyenne, mère et amoureuse.

Auparavant, pendant les dix années durant lesquelles elle déploya pour le compte du label Philips une farandole ininterrompue de EP, 45t et 30 cm, elle n’aurait ainsi fait qu’incarner un modèle de petite cruche ébréchée par des chagrins d’amour de collège, transportée ici et là par de cupides manipulateurs, secouée sans ménagement pour faire mousser un juteux cocktail à base de chlorophylle, de limonade et d’un zeste de citron – ce dernier ingrédient pour l’œil inquisiteur de la morale, qui à cette époque s’irritait d’un rien.

Bref, il est pratique pour tout le monde de caricaturer la France Gall sixties en gentille blondinette, en lolita tête de linotte et tête de bois, ou en rosière abusée textuellement par un plaisantin à tête de chou. C’est pourtant bien Serge Gainsbourg qui prévenait dans une interview en 1968, deux ans après la fameuse affaire des Sucettes : « Ceux qui n’aiment pas France Gall se trompent », la qualifiant au passage de « personnage ambigu » comme pour invalider cette rumeur qui voulait que la pauvresse ne comprenne que pouic à ce qu’il lui collait sur la langue.

Pourtant, si une interprète fut royalement servie à cette époque par Gainsbourg, non seulement musicalement mais aussi sur un plan littéraire, c’est bien France Gall. Une petite dizaine de chansons à double ou à triple fonds – toutes contenues, cela va sans dire, dans cette compilation – qui abordent certains des sujets les plus glissants qui se présentaient sous les semelles de la jeunesse désorientée du baby-boom. Il y est ainsi question pêle-mêle de suicide (Attends ou va-t’en), d’ambiguïté sexuelle (Nous ne sommes pas des anges), de drogues et de groupies (Teenie Weenie Boopie), sans compter cet espèce de best of sulfureux qu’est Baby pop, qui parle en moins de quatre minutes d’oppression sociale, de mort, de mariage forcé et de guerre ! Sans parler non plus de la propre critique embarquée· du phénomène des teen-idols à travers N’écoute pas les idoles et, évidemment, Poupée de cire, poupée de son. Gainsbourg doit beaucoup à France Gall, car sans cette chanson à la dynamique spectorienne, qui décrocha en 65 la timbale dorée du Concours de l’Eurovision – pour le compte du Luxembourg et non de la France, n’oublions jamais ce détail absurde-, il aurait peut-être attendu encore longtemps que se noircisse son carnet de commandes de faiseur de tubes. France Gall doit beaucoup à Gainsbourg, notamment pour l’avoir détournée sans avoir l’air des histoires mineures d’écolière (Sacré Charlemagne) ou du simple journal intime griffonné à l’eau de rose (Mes premières vraies vacances, Le temps de la rentrée) auquel certains auraient voulu l’abonner.

Pas mal de chansons dans cette veine « bluette », précisons-le, sont de vrais petits bijoux, à l’image du jazzy Pense à moi, de l’adorable Christiansen et sa floraison de trompettes pimpantes ou des pop-sangs ouvragées selon les modèles anglais inventés, notamment, par les Beatles (Chanson pour que tu m’aimes un peu, Toi que je veux). Car France Gall, avec ou sans Gainsbourg, aura souvent bénéficié des largesses orchestrales des meilleurs arrangeurs de l’époque : Alain Goraguer (Jazz à gogo, composé d’après la première syllabe de son nom), Michel Colombier (notamment pour l’euphorique Dady da da qui devint le générique de l’émission culte des french sixties, Dim-Dam-Dom) ou encore l’anglais David Whitaker (Made in France, qui tente de creuser bien avant l’heure un tunnel sous la Manche).

Pour ses beaux yeux de biche un peu farouche, certains musiciens de jazz parmi les plus prisés du circuit français ont également répondu présent, notamment le bassiste Pierre Michelot ou le batteur Christian Garros. Jamais très loin pour surveiller sa progéniture, Robert Gall aura pendant toutes ces années d’apprentissage apporté non seulement ses talents de compositeur (exercés auparavant chez Aznavour ou Piaf) mais aussi ce cadre familial – composé également de Patrice, le frère qui compose aussi, et de la mère, Cécile, musicienne et bonne conseillère – qui maintiendra la jeune et jolie Isabelle rebaptisée France hors d’atteinte des mauvaises rencontres ou des choix de carrière hasardeux.

Une chose est certaine, concernant cette décennie où France Gall illumine de sa présence solaire les premières boums yéyés, c’est qu’elle passe ensuite à la vitesse pop et au dévergondage rock : il n’y a en apparence aucun nuage pour venir assombrir ce bonheur qui irradie la bande magnétique, les ondes et les écrans sur son passage en tornade blonde.

Plus tard, France aura beau dire qu’elle en a bavé, que le monde alentour était cruel avec sa chair blanche, qu’elle ne chantait pas toujours que du premier choix (ce qui est vrai) et qu’on la prenait vraiment pour ce qu’elle n’était point, c’est-à-dire une ravissante idiote, tout ce qui émane de ses disques persiste à nous convaincre du contraire. Non seulement elle fut l’une des chanteuses les mieux gâtées de son époque, mais même de ses chansons les plus naïves, à l’image de Bonsoir John John, écrite au lendemain de l’assassinat du président Kennedy, on retient une forme assez rare d’élégance musicale, voire une certaine distinction qui n’était pas donnée à tout le monde dans la pouponnière Salut Les Copains. Même sa voix, souvent décriée pour ses brusques écarts dans les aigus, appartient à ce registre mi-enfantin mi-sirène qui n’a pas vraiment d’équivalent dans la variété française de l’époque, différent de l’onde amère d’une Françoise Hardy ou de la distanciation slave d’une Sylvie Vartan. Gainsbourg, encore lui, voyait juste lorsqu’il comparait France à la Alice de Lewis Carroll, lâchée dans ce pays des merveilles que furent les années pop en France, décorées par Jean-Christophe Averty, William Klein ou Guy Pellaert.

Autour d’elle, comme dans un conte enchanté, de bons ou moins bons génies se pressèrent, pour lui écrire des paroles et des musiques en rapport avec sa nature radieuse. On retrouve ainsi, au fil des années et des chansons les noms de Pierre Delanoë – qui adapta notamment d’une chanson américaine le 45t inaugural, Ne sois pas si bête, en 63 -, les prolifiques Jacques Datin et Maurice Vidalin (Christiansen), Eddie Marnay et Guy Magenta (L’Amérique) ou encore Jean-Michel Rivat, Frank Thomas et le célèbre Joe Dassin que se mirent à trois pour donner naissance à Bébé requin.

A l’image du sucre d’orge parfumé à l’anis de la petite Annie, qui fit couler tant d’encre, les chansons pétulantes, émouvantes et effervescentes de la France Gall sixties sont le plus court chemin pour le paradis.

Christophe Conte

Disque 1

Disque 2

Polydor – LC 00309.983 758-0
Année : 2006
Format : Double CD
Art direction : Vartan
Design : CB Graphic, Paris
Photos recto et inlay : Patrick Bertrand
Photo verso : Collection France Gall
Livret page 2 : Patrick Bertrand
Livret page 4 : Odile Montserrat
Livret page 7 : Mayfair
Livret page 8 : Rancurel Photothèque
Livret page 12 : Patrick Bertrand
Compilation 2006 Polydor France un label Universal Music
Fabriqué en Union Européenne

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