C’était notre France

On n'échappe pas à son destin. Lorsque France Gall remporte le concours de l’Eurovision en 1965 avec « Poupée de cire, poupée de son », elle n'a pas encore 18 ans et s'est présentée sous la bannière du Luxembourg.

On n’échappe pas à son destin. Lorsqu’elle remporte le concours de l’Eurovision en 1965 avec « Poupée de cire, poupée de son », elle n’a pas encore 18 ans et s’est présentée sous la bannière du Luxembourg.

Mais derrière leur poste, les Français s’en moquent et adoptent la toute jeune chanteuse. Elle s’appelle tout de même France ! Ce qu’ils ignorent alors, c’est que la lauréate vit une des pires Journées de sa carrière : son petit ami de l’époque, Claude François, jaloux de son succès, vient de l’abandonner. Ils ne savent pas non plus que France s’appelle en réalité Isabelle Gall, mais qu’elle a dû adopter à contrecœur un nouveau prénom pour éviter de rentrer en concurrence avec une autre vedette de l’époque, Isabelle Aubret. Un choix contraint qui participera pourtant à la relation exceptionnelle de cette artiste avec son public et plus largement notre pays. Une liaison rythmée par une cascade de tubes qui a traversé les décennies, enjambé le siècle et réuni plusieurs générations. 

Édito de Stéphane Albouy

« Y’a comme un goût amer en nous. »

Hier matin, on a tout de suite pensé à cette phrase, à cette chanson, « Évidemment ». Évidemment. Un morceau de 1987 sur l’absence, le deuil, la mort de l’ami Daniel Balavoine, chanté par France Gall, écrit par Michel Berger, complices éternels. Oui, y’a comme un gout amer en nous, à la pensée que France Gall est morte, des suites d’un cancer à l’âge de 70 ans, quelques semaines après Johnny, plusieurs mois après Bowie, Prince.

Avec elle, une fois de plus, c’est un peu de nous qui s’en va, les refrains que l’on a chantés à tue-tête, nos boums au son de « Résiste » ou de « Babacar » où l’on imitait la façon de bouger de la chanteuse. « On danse encore sur les accords qu’on aimait tant … Mais pas comme avant », dit aussi la chanson « Évidemment ». La musique pour soigner les peines, pour surmonter les douleurs, pour toujours choisir la vie. « Faisons taire les mélancoliques, avec notre propre rythmique et notre joie », chantait justement France Gall dans « Musique ». Une vie de succès et de combats.

France Gall détestait ses débuts. « Je les effacerais bien, ces dix premières années de carrière », nous confiait-elle en 2004 à l’époque de la sortie de son intégrale où ne figuraient pas ses premiers enregistrements : « Sacré Charlemagne » (1964), écrite par Robert Gall, son père, auteur notamment de « la Mamma » pour Aznavour, et « Poupée de cire, poupée de son» », écrite par Serge Gainsbourg, qui lui avait permis de gagner l’Eurovision en 1965 pour le Luxembourg.

Le public découvre alors une jeune fille bien sage, compagne de Claude François pendant quelques mois, dépassée par ce qui lui arrive. « A 16 ans, au lieu d’aller en classe, je participais à des émissions, des séances photo alors que je ne voulais pas me montrer. J’avais le sentiment d’être violée en permanence. »

Un malentendu à son paroxysme sur « les Sucettes » ambiguës, écrites avec malice par Serge Gainsbourg dont l’interprète ne saisit pas tout de suite le double sens. « J’ai été humiliée par cette chanson. Cela a changé mon rapport aux garçons. » Sa carrière aurait pu ne pas s’en remettre.

Et Michel Berger est arrivé, en 1973. A l’époque, France Gall est dans le doute. « Plus personne ne voulait miser un kopeck sur moi. »

Après Claude François puis Julien Clerc, la chanteuse tombe encore amoureuse d’un chanteur. Musicalement d’abord, en entendant l’un de ses morceaux, puis en le rencontrant par hasard dans une radio. Elle lui fait écouter les compositions que lui prépare son label. « C’est complètement nul », lui répond Berger. Enfin quelqu’un qui pense comme elle. Ils commencent à travailler ensemble pour le prémonitoire « la Déclaration d’amour », en 1974.

« J’ai eu un sentiment d’apaisement la première fois que je me suis assise au piano avec lui. »

Ils s’aiment, se marient en 1976, ne se quittent plus et enchaînent les triomphes. « Musique », « Si, maman si » en 1977, « Viens je t’emmène » en 1978, « Starmania » en 1979, « Il jouait du piano debout » en 1980, « Tout pour la musique », « Résiste » en 1981, puis « Débranche ! » en 1984, ou encore « Ella, elle l’a » en 1987. Avec toujours cette façon de faire swinguer sans complexe le français, à la manière de la pop anglo-saxonne. Berger a trouvé son interprète idéale et Gall le complice dont elle rêvait. « On était d’accord sur tout. »

C’était en 1985. Dans la foulée du Band Aid en Angleterre, les artistes français se mobilisent contre la famine en Éthiopie au sein du collectif Chanteurs sans frontières. France Gall et Michel Berger font partie des premiers à reprendre le refrain « Loin du cœur et loin des yeux … ». Avec leur pote Daniel Balavoine et le comédien Richard Berry, ils fondent Action Écoles, où des élèves des établissements français récoltent des fonds pour financer des projets destinés à lutter contre la famine en Afrique.

Une mobilisation solidaire sans précédent qui permet à la chanteuse de créer un vrai pont avec le Sénégal. C’est là-bas qu’elle croise Babacar, gamin au cœur d’un de ses plus gros tubes des années 1980. Elle passera une partie de son temps après la disparition de Michel Berger sur l’île de Ngor, au large de Dakar. « Là-bas, je suis dans la nature, j’aime vivre dehors, expliquait l’artiste. Ici, à Paris, je ne suis pas à l’aise à l’extérieur, par peur des paparazzis. »

Le succès ne fait pas tout. Si à la scène, le couple Berger-Gall est solaire, à la ville, il doit faire face à la maladie de sa fille Pauline, atteinte de mucoviscidose. Une souffrance que l’on ressent à travers le ton plus grave de l’album « Babacar », sorti dans les bacs en 1987, le plus gros succès de France Gall avec 1 million d’exemplaires vendus. « C’était épouvantable de parler du disque sans pouvoir raconter les vraies raisons de ce côté sombre, expliquera la chanteuse. Il y avait un décalage terrible entre l’artiste comblée et la maman déchirée. Cela se voyait sur nos visages : nous étions moins gais sur les photos. »

France Gall arrête la musique pour s’occuper de Pauline, alors âgée de 9 ans. « La quarantaine arrivait aussi, et avec la maladie de notre fille, vieillir signifiait que nous allions vers la tragédie. » Le premier drame n’est pas celui qu’elle imagine. En 1992, Michel Berger est terrassé par une crise cardiaque à l’âge de 44 ans alors qu’il vient d’enregistrer un album en duo avec France. Pauline disparaît en 1997. Elle avait 19 ans.

France Gall résiste, trouve l’énergie pour surmonter la mort et la maladie alors qu’on lui diagnostique un cancer du sein peu après la mort de Michel Berger.

« Il faut d’abord laisser passer du temps, être seul avec soi-même. On ne peut pas empêcher la peine, le chagrin, il faut les vivre et après sortir de ça. »

France Gall refait sa vie discrètement avec Bruck Dawit, ingénieur du son, arrangeur américain d’origine éthiopienne, rencontré dans les années 1990. Là aussi, comme avec Berger, la complicité passe par la musique. Il travaille sur son dernier album en date, « France », sorti en 1996, où elle chante des nouvelles versions de ses chansons et de celles de Berger. Il l’épaule au moment de la sortie de son intégrale et c’est ensemble qu’ils conçoivent « Résiste », la formidable comédie musicale qui triomphe au palais des Sports à partir de novembre 2015 et dont elle envisageait une suite. Une façon de faire vivre son répertoire et celui de Michel. Son fils, Raphaël Hamburger (le vrai nom de Michel Berger), 36 ans, producteur musical, reprendra le flambeau « J’espère continuer à être créative, à aimer la vie et à l’honorer. Puisque je suis heureuse de me réveiller le matin », nous avait-elle confié il y a deux ans. Des interviews rares mais toujours intenses, dans sa maison parisienne où continuait de trôner le piano de Michel Berger, où elle riait aux éclats, enchaînait clope sur clope.

On lui avait fait remarquer un jour qu’il n’y avait pas de tristesse quand elle évoquait son complice disparu. « Ça aide, le temps qui passe, nous avait-elle répondu. Mais si on me proposait de revivre la même vie, je dirais non. La prochaine fois, je demanderai à avoir une vie plus douce. »

Journal : Le Parisien
Édito de Stéphane Albouy

Article de Emmanuel Marolle
8 janvier 2018
Numéro : 22813

Merci à Elisabeth

Nouveau sur le site