Pour interviewer la benjamine de la chanson, B. S. avait délégué Aliette de Sainprés, la plus jeune de nos rédactrices.
Timidement, celle-ci est revenue nous trouver, magnétophone sous le bras : « Je crois que c’est raté … Jamais je ne serai journaliste ! » Nous avons écouté la conversation de France et d’Aliette. Elle nous a plu par sa fraîcheur et sa spontanéité, et nous avons décidé de la reproduire, sans rien changer, dans nos colonnes. A vous de nous dire si nous avons eu tort.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Alors, France, ça va ?
FRANCE GALL : Tu parles ! On ne peut mieux ! J’ai un travail fou !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Que fais-tu de particulier en ce moment ?
FRANCE GALL : Des galas, des télévisions, des disques en anglais et en allemand. Et je prépare une grande tournée en province.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Qu’est-ce que c’est, cette pile de lettres, là-bas, sur ta coiffeuse ?… Le courrier du mois dernier ?
FRANCE GALL : Là-bas, c’est le courrier de ce matin, tu veux dire !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Quoi ! toute cette pile en un seul jour ?
FRANCE GALL : Mais oui, c’est tous les jours la même chose. Tiens… Regarde… Il y a des lettres de tous les coins du monde : Allemagne, Suisse, Belgique, Japon, Antilles l Il faudra que tu remercies tous ces gens dans « Bonne Soirée ». Moi, je n’ai absolument pas le temps de leur répondre comme j’aimerais le faire. Je passe déjà au moins une heure par jour à signer mes photos. C’est toujours moi qui le fais : mes idiots de frangins n’ont jamais réussi à imiter ma signature !
ALIETTE DE SAINPRÉS : A propos, Philippe vient de rentrer du service militaire, je crois ?
FRANCE GALL : Oui, il a eu « la quille » le 17 décembre.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Et Patrice, il ne l’a pas encore fait ?
FRANCE GALL : Non. Lorsqu’il y a des jumeaux dans une famille, on ne les envoie jamais en même temps au service militaire.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Qu’est-ce que tu leur as donné pour Noël ?
FRANCE GALL : Des vêtements. Il n’y a que cela qui les intéresse ! Il faut dire qu’ils ont vingt et un an. C’est l’âge où l’on est coquet. Et puis, Philippe, qui a porté le kaki pendant deux ans, a, je crois, une sérieuse envie de changer de couleur.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Et eux, qu’est-ce qu’ils t’ont donné ?
FRANCE GALL : Plein de bibelots et de bricoles pour la chambre que je suis en train d’aménager dans la maison de campagne que mes parents possèdent à Pourrain, près d’Auxerre. Je vais enfin avoir la chambre et la salle de bains dont j’ai toujours rêvé.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Dis donc, France, tu as de plus en plus de disques !
FRANCE GALL : Oui, ça c’est une de mes grandes passions. Dès que j’ai une minute de libre, je me rue sur le pick-up et j’écoute mes chanteuses et chanteurs préférés …
ALIETTE DE SAINPRÉS : Qui, par exemple ?
FRANCE GALL : Françoise Hardy, les Double-Six, Charles Aznavour, les Beatles, Claude Nougaro, les Swingle Singer et beaucoup d’autres encore. Seulement j’ai un défaut épouvantable : je ne remets jamais les disques dans leurs pochettes, alors ils s’entassent dans tous les coins de ma chambre, et Sacha s’assoit dessus !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Sacha… Qui est-ce ?
FRANCE GALL : Mais c’est mon chat, un adorable petit chat de gouttière.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Je croyais que tu avais un caniche ?
FRANCE GALL : Oui, j’ai aussi un caniche, « Nougat », et aussi « Problèmes », mon cocker !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Le kimono, là-bas, sur le cintre, c’est du Japon que tu l’as rapporté ?
FRANCE GALL : Tout juste ! J’en ai ramené une pleine valise. Ils sont tous plus beaux les uns que les autres. J’ai aussi ramené une quantité incroyable de gadgets japonais, une caméra, un parapluie qui s’ouvre tout seul !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Tu as eu un succès terrible, là-bas, paraît-il ?
FRANCE GALL : Oui, c’était incroyable ! Ce voyage au Japon restera pour moi l’un des plus beaux souvenirs de ma vie. Pourtant il m’est arrivé de m’ennuyer quand j’étais là-bas. Il me manquait une copine de mon âge, parce que lorsque je n’étais pas en train de chanter, je devais me terrer dans ma chambre d’hôtel, car chaque fois que je mettais le nez dehors, cela provoquait un attroupement. Et la foule, cela me fait un petit peu peur ! Alors, souvent, les gens croient que je suis prétentieuse. C’est idiot, parce que c’est juste le contraire : je crève de timidité.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Penses-tu y retourner un, de ces jours ?
FRANCE GALL : J’espère. Je vais peut-être aller aussi très bientôt aux États-Unis. Tu sais qu’ils ont sorti mon disque ?
ALIETTE DE SAINPRÉS : Lequel, France : « Bonsoir, John-John » ? ·
FRANCE GALL : Oui, c’est cela.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Mais pourquoi fais-tu la grimace ?
FRANCE GALL : Comme cela. Oh ! oui, je sais bien : ‘Il y a des gens à qui cette chanson n’a pas plu. Moi, je l’aime cette chanson. Elle est jolie d’abord, et puis, lorsque je l’interprète, je n’ai pas à me forcer, je suis sincère. Comme tout le monde, j’ai été bouleversée par la mort du président John Kennedy et j’ai eu envie de chanter cette berceuse pour son fils John-John. Je ne vois pas où est le mal. En plus, c’est une chanson « osée » : on y parle des soldats, de la mort, de la guerre et, pour une fois, on n’y attaque pas les parents. Avoue que c’est rare. Aujourd’hui, pour être « dans le vent », il faut taper sur nos aînés.
ALIETTE DE SAINPRÉS : La famille a une grande importance à tes yeux ?
FRANCE GALL : Et comment ! Pour moi, la famille passe avant tout le reste. Tant pis si je passe pour une petite bourgeoise, mais mes parents sont depuis toujours mes meilleurs copains, et je ne vois pas ce qu’il y a de déshonorant à préférer leur compagnie à celle des noceurs du « Paris by night ».
ALIETTE DE SAINPRÉS : C’est toujours ton père qui s’occupe de ta carrière ?
FRANCE GALL : Oui, bien sûr. Il supervise tout : contrats, enregistrements, tournées et il écrit au moins la moitié des chansons qui sont à mon répertoire. Tu sais, finalement je suis dix fois plus « surveillée » que lorsque j’allais au lycée. Remarque, je ne m’en plains pas, et sans papa j’ai bien l’impression que le succès m’aurait « enflé » la tête.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Es-tu amoureuse ?
FRANCE GALL : Ah ! ça, cela ne te regarde pas !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Décris-moi au moins ton type de garçon.
FRANCE GALL : Pffff … Je ne sais pas, moi I Il faudrait qu’il ait les yeux clairs, de l’autorité – j’ai horreur des « mollassons » -, de la personnalité et qu’il soit galant.
ALIETTE DE SAINPRÉS : C’est un vrai prince charmant qu’il te faut. Tu n’as pas peur de l’attendre longtemps ?
FRANCE GALL : Mais non, j’ai bien le temps. Tu sais, je n’ai que dix-neuf ans !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Auras-tu des enfants lorsque tu seras mariée ?
FRANCE GALL : Oui. Au moins trois.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Et tu continueras de chanter ?
FRANCE GALL : Non, je m’arrêterai très vite. En ce moment, chanter est mon unique passion, mais le jour où j’aurai mari et enfants, je ne penserai plus qu’à m’occuper de mon foyer comme toutes les autres filles de mon âge.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Tu te marieras avec un chanteur ?
FRANCE GALL : Oh là là, ce que tu peux être curieuse. Non, je ne crois pas, mais ce sera peut-être quand même avec quelqu’un du “métier”. Parce que je suis un peu « intoxiquée » par cette vie, et je pense que nous nous comprendrons plus facilement l’un l’autre si les mêmes choses nous intéressent.
ALIETTE DE SAINPRÉS : Alors, il faudra aussi qu’il sache jouer au football ?
FRANCE GALL : Et comment ! Lorsque nous allons à la campagne, mes frères et moi, la première chose que nous faisons en débarquant, c’est un match de foot ! Moi, je garde toujours les buts !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Et il aura intérêt à aimer les gâteaux, ton mari, non ?
FRANCE GALL : Ma parole, tu connais tous mes défauts ! Ça, il faut bien le dire, les gâteaux au chocolat, c’est mon péché mignon. Ceci dit, je sais aussi très bien faire les tomates farcies et les œufs sur le plat !
ALIETTE DE SAINPRÉS : Tu es heureuse, France ?
FRANCE GALL : Oui. Très.
Magazine : Bonne Soirée
Propos recueillis par Aliette de SAINPRÉS
Numéro du 29 janvier 1967
Numéro : 2346