France Gall et Julien Clerc : oui, l’amour est très amusant !

France Gall et Julien Clerc amoureux l’un de l’autre ?

Ils éludent avec empressement cette question, se contentant de dire : “Nous sommes heureux de nous être rencontrés.”

France

Je crois que ce qui me plaît en ce garçon, voyez-vous, c’est qu’il soit si blond, si timide, si maladroit, si ponctuel aussi, et surtout (cela compte) qu’il ne soit pas d’une taille trop grande, fait à ma mesure, en somme … Voilà sans doute ce qu’il m’aurait plu de pouvoir vous dire un jour, du garçon qui m’eût intéressée ; voilà comment, il y a trois mois encore, j’imaginais à peu près le jeune homme mythique dont j’aurais peut-être eu le loisir de dire, d’un ton de voix négligent et modéré : “C’est Untel Machin, mon fiancé.”

Eh bien, la vie a choisi d’être pour moi beaucoup plus inattendue et excitante : le garçon dont j’ai aujourd’hui envie de vous parler est immense (il mesure un mètre quatre-vingt-huit !), il est brun, habile, agile, ne sait absolument pas regarder une montre et n’est, en aucune façon, mon fiancé. Il est bien plus, bien mieux : ce doit être, à y bien songer, quelqu’un que j’aime. On m’eût sans doute fait hurler de rire, il y a quelques semaines seulement, si l’on m’avait annoncé cette rencontre avec Julien, et les rapports extraordinairement gais, chaleureux, qui s’en sont suivis. Cela s’est passé ainsi : le 2 octobre, à dix-huit heures, je m’ennuie soudain, et l’envie me vient d’aller, en compagnie d’une de mes si nombreuses et adorables cousines, revoir “Hair” au théâtre de la Porte-Saint-Martin.

Le même 2 octobre à vingt et une heures quinze, la salle de spectacle se trouve dans l’ombre, un géant brun qui depuis quelques minutes se tenait accroupi, immobile, au milieu de la scène, se dresse avec vivacité et fait un pas en avant. Le 2 octobre à vingt et une heures vingt, je trouve Julien Clerc admirable et, à la fin du spectacle, je vais le lui dire – sans insister trop, non plus : “Bonsoir, ça vous a plu ? – Oui, c’est bien. Vous êtes très bien.”

Le 3 octobre à vingt et une heures, me voici de nouveau dans la salle. Et, à la fin du spectacle, de nouveau clans sa loge : “Tu es revenue ?” dit-il. Nous rions. Je connais “Hair”, qui est une charmante pièce, presque par cœur à présent ; et je commence de connaître Julien. Ce qui me séduit dans nos rapports, c’est la merveilleuse disponibilité en laquelle nous nous tenons l’un vis-à-vis de l’autre : Julien peut me dire, un soir, qu’il n’a plus envie de me voir pendant une semaine, cela ne me bouleversera pas ; de même accepterait-il que je ne sois pas toujours disposée à le rencontrer. Cet accord de base nous convient si bien, correspond d’une manière si évidente à nos deux natures, que nous ne l’éprouvons jamais comme une contrainte. Nous sommes si libres de ne pas nous voir, qu’en fin de compte, nous ne songeons jamais à nous séparer … Le mois dernier, nous avons passé huit jours dans cet extraordinaire pays, lumineux, déconcertant, multiple, qu’est le Maroc ; Julien, dont l’énergie est souvent accablante, voulait tout voir, tout acheter … A notre retour à Paris, j’étais étourdie encore de tant de chaleur, de tant d’agitation, de tant de rires. C’est ennuyeux, d’une certaine façon d’aussi délicieux voyages : cela vous laisse des souvenirs – déjà, des souvenirs. Ce qui me plaît en ce garçon, voyez-vous, c’est qu’il est si maladroit, si ponctuel, si timide … »

Julien

“C’est curieux, les choses importantes m’arrivent toujours au moment où je m’y attends le moins – ainsi ma rencontre avec France, par exemple. C’était justement un jour où j’étais de mauvaise humeur parce que j’avais rendez-vous avec des gens ennuyeux qui voulaient me faire parler de moi et de la “formidable” expérience humaine que je vivais avec “Hair”.

Je n’aime pas les gens qui se prennent au sérieux et encore moins ceux qui me prennent au sérieux. France est venue ce soir-là dans ma loge accompagnée d’une de ses cousines, qui – lui ressemblait trait pour trait : elles étaient toutes deux blondes, roses, ravissantes, et tellement enthousiasmées l’une et l’autre par “Hair” qu’elles s’exclamaient en même temps, sans me laisser le temps de dire un seul mot !

J’adore les situations drôles et je souriais encore en y pensant le lendemain, dans mon bain (il me faut dire que j’adore rester des heures dans mon bain en pensant à des choses amusantes … ). Le soir, j’ai eu la surprise de revoir France, seule cette fois-ci. Comme je suis un peu taquin, je lui ai parlé du charmant tableau qu’elle avait formé, la veille, avec sa blonde cousine. France a éclaté de rire, et – ce premier contact avec le rire de France a été la deuxième surprise jolie de la journée. J’adore les gens drôles. Nous avons tant et tant parlé et ri ensemble que j’ai eu, assez vite, l’impression de connaître France depuis cent ans au moins. Quand j’étais au lycée Lakanal à Sceaux, j’étais malheureux, car je n’aimais que les jolies filles, et les jolies filles sont souvent très ennuyeuses : vraiment un cercle infernal ; avec France, je me trouve en perpétuelles vacances.

France est devenue une habituée de “Hair”. Je suis devenu un peu fou de France. Rien ne l’étonne : par exemple, elle sait que j’ai deux points faibles, les cerises et Buster Keaton. Je ne puis voir des cerises sans en acheter un kilo, et je ne supporte pas l’idée d’un monde ou Buster Keaton n’eût pas existé. France m’a offert une tonne de livres consacrés à Buster Keaton et elle a voulu planter un cerisier dans mon jardin ! France est très intuitive : elle sait exactement quand je plaisante et quand je suis sérieux ; cela paraît facile au premier abord, mais jusqu’ici, nul n’y était parvenu. En fait, ce que j’aime surtout chez elle, c’est qu’elle soit un peu exhibitionniste (quand, par exemple, elle me fait sa cuisine à la chinoise), mais qu’elle soit pudique et secrète dès qu’il s’agit de l’essentiel, c’est-à- dire de ce qu’il y a d’un peu « dingue » dans nos relations … Je hais les militantes féministes ; France déteste les gens qui arrivent à l’heure à un rendez-vous : quel rapport, direz-vous ? Cherchez bien ! … Ce qui me semble extraordinaire, c’est qu’elle soit si « présente », tout en me laissant une parfaite disponibilité. France a un tel sens de l’humour, qu’elle passe son temps à se moquer de nous ; vous imaginez la somme de fous rires que cela peut donner en vingt-quatre heures : j’ai d’ailleurs essayé de les compter (et ai dû y renoncer). Lorsque nous nous quittons quelque temps (France appelle cela nos « fugues », nous ne nous écrivons jamais. Comme nous ne savons jamais dans quelle humeur nous allons nous retrouver, ce mois-ci nous avons décidé de « faciliter les choses », en en partant ensemble pour une fugue au Maroc. Après tout, il suffisait d’y avoir un peu rêvé, non ? … »

Magazine : Mademoiselle Age Tendre
Date : Mensuel Janvier 1970
Numéro : 62

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