France Gall bien loin de la poupée de son

Une vedette du show biz (qui sera au Zénith en septembre), une star du bel canto (Palais des Congrès fin juin), chez Drucker, A2, à 20h35.

France Gall au Zénith : un drôle de match, le 11 septembre. D’un côté le poids plume de la chanson, de l’autre les six mille spectateurs.

D’ici là, France Gall se cloître, s’entraîne, se prépare. Mais sa nouvelle chanson « Débranche », qui lui va comme un gant (de boxe), voyage pour elle sur toutes les ondes et, pendant l’été, va cueillir, aspirer et jeter les fans dans la nouvelle salle de La Villette, le Zénith, la plus grande après Bercy :

« Le monde tient à un fil, Moi je tiens à mon rêve, Rester maître du temps et des ordinateurs, Retrouvons-nous tout d’un coup au temps d’Adam et d’Eve, Coupe les machines à rêve … Débranche, Coupe la lumière et le son. Débranche tout. Revenons à nous. »

Une vraie chanson d’aujourd’hui. Une chanson de ras le bol et de retour à la tendresse : « Écoute chanter mon cœur, Si tu veux m’entendre dire, Ce que mes yeux vont te dire. »

Ce soir (20 h 35, A2), elle paraît dans l’émission de Michel Drucker et puis, après, plus rien, une retraite de perfectionniste.

Elle me dit : « L’année 84, c’est l’année France Gall. » Le ton n’a rien de provocateur, de prétentieux. Elle répète clairement, posément, pour s’en convaincre la première. C’est une technique qui a fait ses preuves. France Gall n’a jamais eu de couettes mais la méthode Coué.

Nous sommes dans un restaurant, pas très gai, pas très jeune, mais très fin. Elle a fait le menu en connaissance de cause. On sent qu’à la maison, c’est elle qui planifie tout. Elle reste très près des choses de la vie quotidienne. Dans son jean, elle est comme des milliers de jeunes femmes, actives, besogneuses, qui ont la double tâche d’un job et d’un foyer. C’est pour ça qu’elle va déménager. Adieu la maison de Rueil et le parc. On va réintégrer Paris. A cause des enfants qui poussent. Pauline a six ans déjà, et Raphaël trois. Maman n’est pas du genre à disparaître dans le ciel des stars, même quand elle sera au Zenith. On vit ensemble, au chaud de sa tendresse.

Vie de famille

Elle a été habituée à cette vie de famille, de famille musicienne. Chez les Gall, on nait en biberonnant les gammes. Papa – Robert Gall – a fait le Conservatoire, a écrit plein de chansons, dont « la Mamma », pour Aznavour, s’il ne faut en citer qu’une : maman était la belle voix du dimanche à la cathédrale d’Auxerre, dont l’orgue était tenu par grand papa, cofondateur des Petits Chanteurs à la Croix de Bois : il y avait un oncle violoncelliste. Ne pas s’étonner que les petits frères, Philippe et Patrice, grattent tout de suite de la guitare et que la petite France suive papa dans les coulisses de l’Olympia, jusqu’à la loge de Piaf ou d’Aznavour.

Elle est encore une petite fille au collège de Saint-Mandé (le plus moderne de France) quand elle applique inconsciemment la formule secrète : il faut savoir pour savoir faire et après faire savoir ce qu’on sait ! Ou il n’y a de miracle que dans les sept lettres :  T R A V A I L

Et c’est ainsi qu’un jour j’entends (je ne suis pas la seule) son premier disque « Ne sois pas si· bête … Elle a seize ans.

Dans les coulisses de I ‘Olympia on est ému, comme chez le père Hugo lorsque l’enfant parait. Ainsi, c’est la petite Gall ? Elle tient de son père, quoi de plus normal. Elle ira loin. Le deuxième titre est un ordre : « N’écoutez pas les idoles » et mine de rien, avec ses 42 kilos et sa petite tête ronde qui reste froide, elle en devient une.

Champion de l’Eurovision

L’année suivante (1965), elle franchit les frontières avec un troisième titre qui la fait championne de l’Eurovision, « Poupée de cire, poupée de son ». La triomphatrice, qui va vendre des millions de disques, rentre de Naples où s’est déroulé le concours. Elle se retrouve seule : les parents sont restés en Italie et malencontreusement les frères ont eu un pépin de voiture. Seule, avec deux propositions de film dont une de Vadim. « Non, non, se dit-elle. Et ma tournée ? »

C’est un trait de son fort caractère. Quand elle creuse un sillon elle va au bout. Cela dit, elle revoit l’Eurovision comme un cauchemar. Elle aurait préféré être en vacances avec sa petite cousine. Elle ne réalisait pas ce qui lui arrivait. Les musiciens avaient sifflé sa répétition trouvant la chanson trop moderne. L’Anglaise, à qui elle avait ravi la première place, l’avait Insultée. Mais, la petite Gall était célèbre.

En porte-clés

Gainsbourg, lui ayant trouvé cette « Poupée », cisèle l’image du baby-idole avec « Baby Pop » et « Les sucettes ». Elle fait une tournée triomphale au Japon où on la vend en porte-clés, en calendrier et en écharpe de soie, et où elle est terrorisée parce que des fans la poursuivent ciseaux en main pour avoir une mèche-souvenir. « Sacré Charlemagne » devient un hymne international puisque des mouvements de jeunes l’adoptent en Algérie ! Elle grave son disque dans toutes les langues, japonais compris, elle n’arrête pas.

Aznavour qui s’y connait prédit : « Elle durera parce qu’elle n’est pas grande. Les petits compensent par un travail fou. »

Ses haltes sont en plein ciel de Boulogne où la tribu Gall s’est perchée dans un jardin suspendu au sommet d’un immeuble Pouillon où chacun a son espace vital. La petite possède comme les autres membres de la famille, son living, sa chambre, son bureau. Elle a aussi son organisation familiale de tournées avec un car à couchettes pour l’orchestre, un break pour la régie, elle au volant de son Hillman blanche ayant comme papa le goût des voitures. Et avec ce nom génial, que la presse reprend en chœur, « Allez France, elle se retrouve championne. Ce n’est pas un hasard. C’est un dur entraînement.

Un jour, elle est conviée à une tribune de France Inter. Trente jeunes de son âge lui posent des questions auxquelles elle répond avec sa vivacité habituelle. Ce qui en amènera une dernière qui la fera réfléchir : « Dans vos chansons, vous apparaissez comme une petite naïve. Pourquoi vos paroliers ne vous montrent-ils pas telle que vous êtes ? »

Elle a vingt ans – le 9 octobre 1967 – et elle décide de sa métamorphose. Plus de scène, plus de galas, elle licencie ses musiciens, sauf ses frères, les jumeaux, qui sont à la contrebasse et à la guitare. Elle travaille avec le Gainsbourg des « Sucettes » un duo où il lui dit : « Tu n’es qu’un bébé, rien qu’un bébé loup, tu as des dents de lait, des dents de loup. »

C’est le début du changement. D’autres auteurs lui font son « Premier chagrin d’amour ». Quand on la compare à Sylvie Vartan à cause de la coiffure, cela l’agace : « Nous ne nous connaissons pas », dit-elle. Elle renonce à sa frange, rejette ses cheveux sur le côté, perd ses joues mais reste encore « Bébé requin » selon la chanson que lui a faite Joe Dassin.

Un loup, un requin

Un loup, un requin … Décidément, ses auteurs ont vu ses dents longues. Mais, en fait, c’est une abeille-fourmi. On la voit danser et on s’aperçoit qu’elle bouge bien. On la voit jouer Phèdre pour rire dans un sketch. On la voit changer sa raie de côté pour ses vingt et un ans. Et elle dit : « J’ai pris deux ans en trois mois. » Elle est devenue sa propre femme d’affaires, signe ses contrats, choisit ses collaborateurs, promène sa nouvelle image en Italie, en Espagne, au Canada. La première métamorphose est faite.

La seconde a lieu deux ans plus tard avec un coup de ciseaux : nouvelle tête, cheveux courts et retour à la frange. Elle chante du Jacques Lanzman : « L’amour, c’est ça ».

Oui, au fait, l’amour ?

Quand apparaît dans sa vie Julien Clerc, le Julien Clerc de « Hair », la presse du cœur annonce que c’est son troisième grand amour, « le premier ayant été un chanteur connu et le second un fils de famille ». Mais elle habite toujours chez ses parents et du mariage elle dit : “On n’épouse pas sous l’impulsion d’un amour fou.” Elle n’épouse pas Julien.

On connaît la suite : elle a un choc en entendant Michel Berger, ce jeune homme né aussi dans la musique par sa mère, la pianiste Annette Haas. Elle lui demande une chanson. Elle ne l’inspire pas. Il garde d’elle l’image de « Sacré Charlemagne ». Il dit non. Il ne voit en elle qu’une petite idole confinée dans l’infantilisme et qui fait de la télévision pour parler de décoration entre deux chansons. Elle revient à la charge. Elle parle. Il l’écoute. Il entend même ce qu’elle ne lui dit pas. Il lui écrit « La déclaration ». Et ils se marient.

Maintenant, ils franchissent déjà le cap des dix ans, dont huit de vie commune. Ils ont piloté leur barque en faisant attention aux écueils quand il faut naviguer entre vie privée et vie publique. Ils ont fait deux enfants et un spectacle, « Starmania », et d’autres, séparés. Ils étaient seuls, chacun à leur tour, sur la scène des Champs-Élysées. Mais l’autre n’était jamais loin. Elle était seule en scène il y a deux ans, au Palais des Sports, qu’elle a comblé. Toutes les chansons étaient de Michel Berger, paroles et musique, comme elles le seront au Zénith. L’amour, bien sûr. Mais aussi le miracle de la musique. Ils en étaient l’un et l’autre pétris dans le ventre de leurs mères. La dynastie va continuer : il n’y a qu’à regarder Pauline et Raphaël…

« Je ne leur imposerai rien », dit-elle.

Elle achève le dîner en sportive raffinée, juste ce qu’il faut de régime.

« Parce que le Zénith, dit-elle, ce sera mes J.O. »

Allez France.

Journal : France-Soir
Date : 9 juin 1984

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