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Le jardin secret d’une Starmania

Une carrière hors du commun

Il faut toujours se méfier des fausses petites filles modèles, surtout lorsqu’elles envoûtent leur public avec des « Poupées de cire, poupées de son », car elles pourraient fort bien en venir à vous demander plus tard : « Mais qu’est-ce que l’on nous demande ? Mais qu’est-ce que l’on veut de nous ? Qu’on se plie, qu’on marchande ? Qu’on se mette à genoux ? »

Ces paroles, elles sont comme toutes celles de France Gall, de son mari Michel Berger, maître pâtissier pétrisseur de ses mots, de ses maux. Pas évidente une telle complicité, après dix ans, dont huit de vie commune. Pas évidente non plus cette rencontre, d’où naquirent deux enfants ardemment désirés : Pauline, neuf ans, Raphaëlle, sept ans, et un grand nombre de chansons.

Quand, surmontant sa timidité naturelle, elle décroche son téléphone pour demander à Michel Berger, dont certaines chansons l’ont touchée, d’écrire une chanson pour elle, elle est alors en pleine crise personnelle. Elle vient de vivre une rupture sentimentale particulièrement éprouvante, et cherche un répertoire qui lui corresponde vraiment. Un passage à vide qui dure depuis quatre ans. Beaucoup de paroliers se sont cassés les dents à habiller de mots l’âme de celle qui tend à devenir elle-même.

Aussi, dans un premier temps, il refuse. Il faut dire que France Gall a un lourd passé derrière elle. Un passé qui en aurait brisé plus d’une. Propulsée en pleine gloire à seize ans par la chanson « Ne sois pas si bête », elle grimpe à dix-sept ans à l’assaut des hit-parades avec son tube « Sacré Charlemagne ».

Ce tube, elle le doit à son père Robert Gall qui, après avoir obtenu un premier pris au Conservatoire, préfère devenir auteur compositeur. Charles Aznavour lui doit, entre autres, sa célèbre « Mamma ». Il comprend vite que sa fille, au prénom si patriotique, a « tout pour la musique ». Quoi de surprenant à cela puisqu’elle baigne, depuis sa plus tendre enfance, dans le monde de la chanson. Non seulement par son père, mais aussi par ses frères, deux jumeaux Philippe, bassiste, et Patrice, auteur ; par ses cousins, tous musiciens dans le classique et la variété ; par son grand-père, fondateur, avec l’abbé-Maillet des Petits chanteurs à la Croix de Bois. Ses oncles et tantes chantaient dans les chorales. De six à huit, son grand-père tenait un salon de musique, et tout le monde jouait d’un instrument France Gall se souvient de cette période avec tendresse, malgré son « goût amer qui ne change rien, qui change tout ». Robert Gall amène donc sa fille à quitter le lycée et à passer une audition. Le reste, comme diraient certains, appartient tient à l’histoire. Ce sera donc « Sacré Charlemagne », puis la rencontre avec Gainsbourg, ce grand prêtre de l’ambigu. Lorsqu’on lui expliquera toutes les connotations sexuelles, à peine voilées, des « sucettes à l’anis », elle tombera des nues. Cette chanson gourmande lui vaut beaucoup de lettres enflammées, voire obscènes, de vieux messieurs. Pourtant, Gainsbourg la fera triompher, à 18 ans, du Grand Prix de l’Eurovision avec « Poupée de cire, poupée de son », à laquelle une intelligentsia féroce, à la rancune tenace, l’identifiera, probablement toute sa vie, quoiqu’elle n’ait cessé, depuis la naissance de cette complicité totale entre elle et Michel Berger, de prendre des virages à 180°.

Une vie privée tenue secrète

De sa vie privée, on ignore pratiquement tout. On sait sa liaison avec Julien Clerc, mais le reste, souvent, demeure dans le flou. Secrète et réservée, elle n’aime pas en parler. De même qu’elle n’aime ni photos, ni interviews. Sa vie d’aujourd’hui, elle est toute entière dans ses chansons… Ce ne fut pas le cas depuis longtemps.

On veut la modeler selon l’image qu’on a d’elle, celle d’une jeune fille sage, même si elle a, selon ses paroliers, tantôt des « dents de loup », tantôt des airs de « bébé requin ». Mais, prématurément mûrie par la scène, elle éprouve de plus en plus le besoin de chanter des textes qui lui correspondent vraiment. Elle tente un moment d’écrire elle-même ses chansons. Mais ce n’est pas son truc, elle frappe de nouveau à la porte de Gainsbourg : « Vous seul pouvez quelque chose pour moi » lui dit-elle. Mais c’est le trou noir encore. Elle a 23 ans. La vague yé-yé, qui l’a propulsée aux sommets, est retombée. Ce qu’elle cherche, ce sont des mots à elle, qui la définissent vraiment telle qu’elle se sent, et non telle qu’on la veut. Elle vit alors encore avec ses parents, non par obligation, mais par choix. En 74, elle entend chanter un homme dont les chansons la touchent. Lui aussi vient de subir une rupture sentimentale très dure. Il s’appelle Michel Berger. Elle veut le rencontrer, et le rencontre. Mais l’idée de collaborer avec celle qui immortalisa les « Sucettes à l’anis » ne l’enthousiasme guère. Pour lui, France Gall, semble-t-il, n’est qu’un produit commercial comme les autres. Certains ricaneront sans doute car Berger, ce n’est pas Ferré, ni Le Forestier. Pas un chanteur à message certes (étiquette que d’ailleurs, lui et sa femme, refusent), mais un auteur engagé humainement. Son domaine à lui c’est l’intelligence du cœur. Il refuse donc. Poussé par France Gall dans ses retranchements, il lui écrit sans trop y croire « La déclaration d’amour ». Surprise : c’est un succès. Entre temps, France Gall et Michel Berger ont appris à mieux se connaître, et s’aperçoivent, avec stupéfaction, que leurs sensibilités se correspondent parfaitement. Mais une histoire d’amour leur semble inenvisageable, pensant tous les deux, bien avant les Rita Mitsouko, que « les histoires d’amour finissent mal en général ». Prudents, ils mettent deux ans avant de sauter le pas d’une vie commune.

France Gall peut enfin vivre son rêve « avoir des enfants, et mener une carrière professionnelle qui ne nuise pas à sa vie familiale ». Elle s’occupe pleinement de l’éducation de ses enfants, va les chercher à l’école, s’entretient avec leurs maîtresses, les emmène au cinéma, joue avec eux.

A l’approche de ses 41 ans, cette Balance qui a su harmonieusement équilibrer sa vie professionnelle, sa vie sentimentale et sa vie familiale, avoue : « J’ai peur de vieillir ». Normal, quand on sait que le signe de la Balance est celui de la séduction. Mais où trouver le temps de vivre dans l’encombrement des galas ? Il y a un truc, comme dirait Majax. Effectivement, il y en a un : une année sur deux, France Gall prend une année sabbatique pendant laquelle elle se consacre à sa vie familiale. Michel Berger monte alors sur les planches. Chacun son tour. Alors chacun peut dire à l’autre : « C’est bon que tu sois là, c’est comme une évidence dans un affreux combat ».

Les mots de son mari sont ceux qui la touchent le plus, qui expriment vraiment ce qu’elle est. C’est une gloire pour elle que de n’interpréter que du Michel Berger.

Il est vrai que le grand tournant de France Gall s’est négocié si progressivement que certains n’y voient encore que du feu. « Est-ce que tu écoutes ce que je dis ? Non, tu n’écoutes que ce que tu dis. Tu comprendras quand tu seras plus jeune, tu comprendras quand tu seras plus fou, que cette musique c’est un cri d’amour, que tu es déjà devenu sourd ». Goûtez et comparez : ce n’est tout de même pas du Vanessa Paradis !

France Gall : une femme d’aujourd’hui

France Gall est une femme d’aujourd’hui, avec des textes qui peuvent toucher les gens d’aujourd’hui. Quand elle déclare dans « Il jouait du piano debout » : « les gens qui pensent autrement, ça nous dérange », les gens qui ont des oreilles comprennent déjà qu’elle va aller plus loin. Aussi la retrouve-t-on entièrement dans « Résiste » : « Si tu réalises que ta vie n’est pas là, que le jour tu te lèves sans savoir où tu vas : résiste »

Ce cri du cœur, elle l’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans, qui constituent une grande part de son fidèle public. Ils lui écrivent d’ailleurs. France Gall répond elle-même à toutes les lettres ; quelquefois, elle rencontre un de ses fans dans un café, histoire de descendre de son piédestal.

Elle adore la scène, mais aime, de temps en temps, renouer avec la vie, faire elle-même ses courses, préparer la cuisine. Ses textes, c’est elle qui en conçoit la teneur. Elle en discute longtemps avec Michel Berger. « Je voudrais une chanson qui exprime cela. Je sais que ce sera difficile … Michel Berger a le pouvoir de concrétiser ce qui se passe dans la tête de cette blonde Balance de 1,53 m, toujours en jean et baskets. Quelquefois « J’aimerais que l’ensemble du disque soit beaucoup plus fort, beaucoup plus violent que le précédent ». Cela donne « Babacar », un album dont on sort secoué, pour peu que l’on sache écouter (pour les autres, les paroles sont écrites sur la pochette …).

France Gall n’est pas une militante, mais être bien dans sa peau, c’est sa façon à elle d’aider la souffrance des autres, qui lui est intolérable. Il lui faut agir. Son voyage au Niger l’a totalement changée, elle a découvert ce qu’étaient la soif et la faim, en participant à l’action humanitaire “Action écoles”, aux côtés de Daniel Balavoine.

Mes chansons sont ma vie

Ainsi est né « Babacar », l’histoire d’un enfant qu’elle a rencontré là-bas. Pour écrire, Michel Berger s’inspire de leur vie commune, de ce que l’un et l’autre peuvent ressentir. Le bonheur, elle l’a cherché et il semble qu’elle l’ait trouvé, malgré ceux qui persistent à croire qu’elle est à jamais « superficielle ».

Magazine : Vous et votre avenir
Par Pascal Perrot
Date : Octobre 1988
Numéro : 64

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