Quatre semaines. Près d’un mois s’est écoulé depuis la mort brutale de Michel Berger. Un mois qui a pesé de tout son poids de chagrin et de désespoir sur les épaules de France Gall.
France, que chacun revoit encore, frêle silhouette toute vêtue de noir, serrant ses deux enfants contre son cœur, sortant d’une démarche d’automate du cimetière Montmartre, le 6 août dernier.
Forte, il fallait qu’elle le soit. Pour elle, bien sûr, pour ne pas s’effondrer sous la douleur, pour accompagner sans flancher son grand amour jusqu’à sa dernière demeure. Mais aussi pour ses deux enfants, Pauline et Raphaël. Pour eux, elle devait être plus présente, plus solide que jamais. Parce qu’elle était leur seul rempart, leur seule protection face à l’intolérable malheur.
Atroce
Alors, dans les jours qui ont suivi la disparition de Michel, France s’est raidie, elle a verrouillé son cœur à double tour pour ne pas laisser éclater l’atroce chagrin. Il fallait qu’elle tienne, et elle a tenu.
Et puis les jours ont passé et, avec eux, est revenu l’obsédant, l’implacable souvenir du bonheur perdu à jamais. Cette tension infernale, que France s’est imposée pour ne pas craquer, s’est brusquement effondrée.
À tel point que, aujourd’hui, ses amis, ses proches, sa famille, tous ceux qui l’aiment sont très inquiets pour France Gall. Parce qu’ils savent que la jeune femme, désormais, est seule face à la douleur, qu’elle est entrée dans la période la plus noire, la plus terrible de son deuil. Celle où, malgré le désespoir, il faut réapprendre lentement à vivre sa vie de femme, sans la présence de celui qui était tout pour elle.
Dans un premier temps, après les obsèques de Michel, France n’a pas voulu retourner tout de suite dans la maison du bonheur qu’ils avaient choisie ensemble, en Normandie. Elle a voulu partir loin de ce coin de paradis. Alors, le soir même des obsèques de Michel, elle s’est réfugiée avec ses deux enfants dans le chalet de Haute-Savoie où ils avaient l’habitude de passer leurs vacances d’hiver en famille.
Anxieux de la savoir seule à évoquer, seconde après seconde, les moments merveilleux de son bonheur brisé, les plus proches amis du couple, le compositeur Claude-Michel Schönberg et sa femme, Béatrice, ont décidé de l’accompagner dans sa retraite. Pas un seul instant, ils ne l’ont laissée seule avec ses souvenirs. Leur présence de chaque instant à son côté a été pour France le meilleur des réconforts, le lien de tendresse le plus apaisant, le plus solide pour la rattacher à la vie.
Dix jours ont passé
Et France a compris qu’elle ne pouvait pas continuer à fuir la réalité, qu’elle devait retourner dans la maison familiale, encore si pleine de la présence de Michel. Et, là, soudain, comme un grand malade qui se réveille de l’anesthésie, la douleur s’est emparée de France avec une violence terrible. Soudain, l’absence de Michel lui est apparue pour ce qu’elle était réellement : un vide insupportable qui ne se comblerait jamais.
Un vide d’autant plus insupportable que France n’a voulu toucher à rien dans la maison. Les photos du bonheur sont toujours là, épinglées sur les murs. Ce n’est pas pour elle, mais pour ses enfants qu’elle s’est imposée cette nouvelle épreuve. Pour qu’ils conservent intact le décor de leur enfance. Une épreuve sans doute trop lourde pour elle car, brusquement, France s’est effondrée.
Elle, déjà si frêle, si menue, a maigri de plusieurs kilos en moins de deux semaines. Le teint pâle, les traits tirés, rien ne semblait pouvoir la sortir de son désespoir.
Même pas son plus précieux soutien : Coco, la veuve de Daniel Balavoine, mort tragiquement dans un accident d’hélicoptère, le 14 janvier 1986. Coco, que France avait soutenue, aidée, quand elle avait été frappée par le deuil. Coco, qui sait mieux que personne combien est terrible l’épreuve que traverse France aujourd’hui. Coco, qui connaît les mots et les gestes dont une femme a besoin dans ces moments-là. Coco, qui sait l’incroyable effort de volonté que France doit s’imposer à chaque seconde pour accomplir les gestes banals du quotidien.
Car France lutte, lutte de toutes ses forces, de tout son courage. De peur de raviver sa souffrance, les intimes de France n’évoquent jamais le souvenir de Michel devant elle. Alors, pour rompre cette conspiration du silence, c’est France qui évoque la présence du disparu à chacune de leurs conversations, un peu comme s’il était toujours là, parmi eux.
Mais il arrive souvent que l’émotion atteigne son paroxysme à l’évocation de Michel. Les larmes sont au bord des yeux de tous. Là encore, c’est France qui rompt cette atmosphère pesante de douleur.
« Évoquant un prétexte quelconque, elle quitte la table précipitamment, a confié l’un de ses proches, et elle ne réapparaît que quelques minutes plus tard. »
Personne n’est dupe, bien sûr. Tout le monde sait que France est partie se réfugier dans sa chambre pour pleurer en silence, seule, son amour anéanti.
Mais le courage et la volonté de France Gall vont encore plus loin
Pour rester fidèle à son amour pour Michel par-delà la mort, elle a pris une bouleversante décision. Elle, qui avait annoncé qu’elle allait abandonner sa carrière de chanteuse, va continuer. Pour que Michel vive encore à travers elle, à travers ses chansons, à travers sa voix.
Et, déjà, cette semaine, elle s’est rendue à Londres pour assister aux répétitions, en anglais, du spectacle fétiche de son mari, « Starmania », celui qui l’avait rendu célèbre il y a une dizaine d’années. Cette participation était inscrite sur le carnet de rendez-vous de Michel Berger avant son décès brutal. France a voulu qu’il soit quand même présent à cet événement, par le cœur et le souvenir.
Avec une volonté admirable, elle s’oblige à tout cela pour ne pas trahir le souvenir de Michel. Car combien de fois ne lui avait-il pas dit que, quoi qu’il arrive entre eux, elle devrait continuer à chanter, toujours pour être forte dans la vie.
Désormais, ce n’est plus pour rechercher le succès que France Gall va poursuivre sa carrière. Chaque fois qu’elle montera sur une scène, ce sera pour faire revivre Michel.
Encore et toujours.
Journal Le Parisien
Didier CHATILLON
Date : 29 aoput 1992
Numéro : 2400