Que dire de plus sur Michel Berger et France Gall ? Le dernier album, c’est vrai, est loin d’être l’un des meilleurs. Mais nous aurions été nombreux à aller les applaudir à La Cigale, en tournée et à Bercy.
Nous avons choisi de vous présenter leurs carrières au travers de la presse télé, qui domine le monde de la presse hebdomadaire et qui est le plus important baromètre de l’impact sociologique de la chanson. Dans ce numéro, leurs carrières séparées avant 1973. Dans le prochain Platine, leur carrière en commun.
1961-1963
L’importance de la presse télé remonte aux années 1960. En 1962, Télé 7 Jours atteint le million d’exemplaires. A cette époque, la France compte un parc de 3 millions de téléviseurs seulement, contre 6 millions d’appareils en Allemagne de l’Ouest et 11 millions au Royaume-Uni. La progression de la télévision dans l’hexagone est plus lente que chez nos amis européens : 185 000 téléviseurs en France en 1955, 510 000 en 1959, 650 000 en 1960, 830 000 en 1961.
Si le parc du petit écran progresse lentement, les speakerines (Catherine Langeais, Jacqueline Caurat, Jacqueline Huet) sont les premières stars de la presse télé. Les éditeurs privés, prennent plus vite conscience que les programmateurs des chaines publiques (la deuxième chaine arrive en 1964), de l’importance de la jeunesse. Cette dernière est, avec la ménagère, la cible favorite des journaux télés, car elle a souvent le pouvoir décisionnaire en matière de presse. Aussi, petit à petit, les chanteurs prennent-t-ils le pas sur les speakerines.
1963-1967
France Gall et Michel Berger arrivent en 1963, alors que leurs “copains” yéyés sont déjà bien installés. Johnny et Sylvie, Richard et Françoise, Clodo et Sheila, ont chacun fait leurs preuves. Ce handicap devient vite un avantage. Les médias ont accepté les yéyés et le travail de pionnier effectué n’est plus à faire. A la première occasion, la presse télé va se jeter sur ces petits nouveaux qui peuvent faire vendre du papier.
C’est Michel qui, au printemps 63, ouvre le feu. Malgré un simple, “Tu n’y crois pas” (pour tester le marché) et 2 EP en 1963 (“Tu n’y crois pas”, “A quoi je rêve”), sa carrière a du mal à démarrer. Il faut dire qu’il n’a le look ni rock à la Johnny, ni peps à la Clodo, ni même une voix sucrée comme Richard. Pourtant, sa maison de disques, Pathé, insiste plus que pour n’importe qui d’autre (pourquoi ?) et continue en 1964, 1965 et 1966 à sortir des EP : “D’autres filles” “Vous êtes toutes les mêmes”, “Me débrouiller », « Jimmy s’est pendu”, “Turlututu je vous aime”. En vain, malgré un Musicorama le 23 février 1965, Michel n’intéresse ni les programmateurs TV, ni, par voie de conséquence, la presse TV. Devant les kiosques à journaux, Michel, fils d’un médecin et d’une musicienne, se demande en voyant les couvertures d’idoles, s’il a choisi la bonne voie. Chez Pathé, il commence à travailler comme directeur artistique, et notamment pour Vic Upshaw.
France de son côté démarre à l’automne 63. Elle a déjà trois super 45 tours à son actif (“Ne sois pas si bête”, “N’écoute pas les idoles”, “Mes premières vraies vacances”) quand elle se produit dans “La Grande Farandole” en juin 1964. TV France (le bien nommé) offre à cette occasion sa première une à Miss Gall. “France Gall rivale de Sheila ?”, c’est la question que pose en couverture “La Semaine Radio Télé” en octobre 1964, alors que France interprète “Laisse tomber les filles”, une chanson qu’elle adresse à Claude François, avec lequel la presse lui prête un flirt. En novembre 1964, le magazine télé le plus “sérieux”, Télérama, un rien “intello”, décide d’illustrer son numéro sur “la chanson, ses poètes et ses idoles”, par une couverture de France ainsi légendée : “France Gall : une voix fraîche, un peu perchée”. Après le succès, fin 1964, de “Sacré Charlemagne”, France remporte le grand Prix de l’Eurovision 1965 avec “Poupée de cire, poupée de son”, signée Gainsbourg. TV France en juin 1965 lui offre une deuxième couverture, juste après la Semaine Radio Télé de mai 1965 et juste avant Télé Magazine de juillet/août 1965.
Fin 1966. Michel est au plus bas, sa carrière d’interprète est un échec. Il n’a que 21 ans, mais en 66 c’est déjà vieux pour un chanteur. France est une vedette confirmée. Télé Poche (le premier magazine télé format de poche, une révolution pour l’époque) décide d’offrir la Une de son numéro 2 à France pour son passage chez Albert Raisner. Elle a déjà 19 ans et chante toujours Gainsbourg. “Baby pop”, “Les sucettes” marchent cependant moins que ce que retiendra la légende.
1967-1969
En 1967, Michel voit le bout du tunnel en travaillant avec succès pour une jeune chanteuse, Patricia. France, en revanche est presque en fin de contrat chez Philips et sa carrière part à la dérive. Des duos (bien “kitch”) avec Maurice Biraud (l’animateur de radio à la mode) ou Mireille Darc (l’actrice dans le vent), n’obtiennent ni l’approbation des médias, ni celle du public. Août 1967, Télé Poche décide de remettre France nouveau “look” à la une pour son passage dans “Voilà, voilà” sur la deuxième chaîne. Elle y interprète “Bébé Requin”, succès plus que tube. Juste assez pour intéresser “Télé Magazine”, numéro un avec Télé 7 Jours, qui, en septembre 1967, lui offre sa première page à l’occasion de son passage dans “Dim Dam Dom”. En décembre 1967, France Gall vient à bout du dernier bastion : Télé 7 Jours. Dans son dernier numéro de l’année, le magazine lui offre une partie de sa couverture qu’elle partage avec Minizup et Matouvu, les héros des tout petits. La chanson de variété vit ses dernières heures sans ombre. Au loin gronde mai 1968. Cette année marquera la fin de la première période de succès de France et son départ de chez Philips pour La Compagnie. Michel, de son côté, commence à être sollicité, et compose pour des artistes très populaires comme Bourvil, Franck Pourcel et Jacques Monty. Mais, il préfère travailler avec des jeunes filles. Après Cécile Valéry, c’est au tour d’Isabelle (De Funès, la nièce) de chanter du Berger ainsi que des titres des sœurs Sanson, Violaine et Véronique.
1969-1973
Sous contrat à la Compagnie, où elle ne connait aucun véritable tube malgré de nombreuses tentatives (“L’orage”, “Les années folles”, “La Torpédo Bleue”), France, en 1968, signe un second contrat chez Decca Allemagne et enregistre 32 titres en allemand. Elle rentre 5 fois au Hit germanique. Michel, lui, travaille tous azimuts. En 1969, il n’hésite pas à mélanger les genres (avec des pseudos, comme Michel Hursel, et dans sa maison de production “Caramel”) : Jean-François Michaël (“Adieu Jolie Candy”), Alix Rohan, Poupougne et Chloé, Szabo, Vanina Michel, Marcus Kraftchik … En 1970 et 1971, il part aux USA et compose la musique légendaire du spot Orangina, puis revient avec un tube pour Jérémy Faith (« Jésus »). Le trip « Jésus Christ est un hippie » en inspire plus d’un. Julien Clerc joue “Hair” et France est devenue sa partenaire à la ville. Il dit d’elle, avec beaucoup d’amour, qu’elle n’est pas faite pour la chanson. Le présent lui donne raison. Malgré de nombreuses émissions de télés, France est plus un mannequin de mode jeune qu’une chanteuse. La presse TV la boude et ne croit plus en elle. Elle signe chez Warner une première fois pour deux simples 45 tours, aujourd’hui introuvables. Seul, Télé Poche, l’ami fidèle, désormais numéro deux de la presse télé, lui offre un roman-photo à partir de juillet 1971 et une couverture. L’année suivante, elle est chez Pathé. Ses chansons refrissonnent dans les hits. Michel lui, après un album (“Puzzle”), produit, fin 1971, deux albums de Véronique Sanson, pour laquelle il a une véritable passion. Fort de son succès, il peut enfin enregistrer deux simples (“Words” en 1972 et “Attends-moi” en 1973) puis son premier album d’interprète. Il enregistre “Écoute la musique saoule” avant de produire l’album de Françoise Hardy “Message Personnel”. Nous sommes en 1973. France va rencontrer Michel. Elle veut vraiment qu’il travaille pour elle, lui ne veut pas. Absolument pas.
Magazine : Platine
Par Martine Bordeneuve, Patrick Robert Galéra et Jean-Pierre Pasqualini
Date : Octobre / Novembre / Décembre 1992
Numéro : 3