De retour du Sénégal, où elle vient de donner un concert triomphal, et tandis qu’est sorti cette semaine le deuxième album live de Bercy 93, France Gall, à qui Nagui consacre ce soir son Taratata (France 2, 22 h 30), nous ouvre son cœur…
Alain Morel : Le deuxième CD live du concert de Bercy vient de sortir… La boucle est-elle bouclée ?
France Gall : Une page est tournée, mais le livre est loin d’être refermé.
Alain Morel : Quels seront les prochains chapitres ?
France Gall : Je veux monter un spectacle différent. Peut-être pour une mini-tournée d’été, et aussi pour partir à l’étranger. Je souhaite y ajouter d’autres grands titres de Michel, comme Tennessee, par exemple.
Alain Morel : Un des « best » de Johnny ?
France Gall : Il n’y a pas de raison… Lui, il m’a pris Diego (rire).
Alain Morel : On vous sent plus « chanteuse » que jamais.
France Gall : Si je poursuis, c’est parce que cela me plaît. C’est aussi parce que cela me permet de retrouver une équipe de travail qui est quasiment devenue ma famille.
Alain Morel : Avant la première de Bercy, l’émotion vous avait saisie si fort qu’on avait cru que vous renonciez…
France Gall : Malgré moi, malgré lui, Michel exerçait une pression énorme, mais elle s’est estompée dès le premier soir, dès que j’ai eu confiance. L’émotion, ensuite, on la prenait de plein fouet tous les jours, surtout quand je chantais la Minute de silence. Je savais que beaucoup de gens pleuraient, et je fermais les yeux pour ne pas les voir… Sinon, j’étais foutue !
Alain Morel : Il paraît qu’entre le public et vous il s’est passé des choses incroyables ?
France Gall : Il y a eu beaucoup de monde et beaucoup d’amour. Le seul mot qui compte ! Un soir, à Grenoble, le public m’a carrément fait craquer. Il m’a retenue un quart d’heure sous une ovation qui sonnait comme une tonitruante « déclaration ». Je suis ressortie, les yeux sur une autre planète, et j’ai murmuré « Ah, les vaches ! »
Alain Morel : Tout cela s’est terminé il y a deux mois… Qu’avez-vous fait depuis ?
France Gall : Le dernier « soir » de la tournée était une… matinée. Cela se passait à Strasbourg. Du coup, le soir venu, on a tous dansé et fêté dans une brasserie alsacienne, puis on a marché dans la ville tous ensemble, comme de vrais amis. On savait qu’on se retrouverait. Et cela a eu lieu l’autre jour à Dakar. Encore un concert qui m’a transcendée, dans ce pays où j’ai ma petite maison et plein d’amis que j’adore.
Alain Morel : Pas de vacances ?
France Gall : Si. Elles étaient bien méritées (rire). Avec Pauline et Raphaël, on a passé les fêtes de fin d’année dans une petite île du bout du monde, du côté des Bahamas.
Alain Morel : Comment vont vos enfants ?
France Gall : Beaucoup mieux… Ils sont redevenus des enfants. Je crois qu’en réussissant mon show, j’ai aussi réussi à les rassurer.
Alain Morel : Vous aussi, vous avez l’air mieux, incroyablement rajeunie…
France Gall : Tout le monde me dit ça… C’est génial ! Il n’y a pourtant aucun tirage de peau, je vous le jure. C’est juste la musique et la scène.
Alain Morel : Certains disent qu’il y a d’autres raisons, comme la méditation, par exemple…
France Gall : J’ai su, pendant un bon moment, me couper de toutes les infos extérieures. Cela m’a fait respirer. Le monde disjoncte grave, on le sait. Quand on ne va pas très bien soi-même, on n’a pas besoin qu’on vous en rajoute au quotidien. Et puis, quand télés et journaux sont fermés, on ouvre enfin des livres. Alors, naturellement, ce sont des livres qui concernent en priorité des sujets qui m’obsèdent, comme la mort. Elle m’a toujours terrorisée et j’avais le sentiment d’être sérieusement « repérée ». Il était temps que je fasse un peu « amie amie » avec elle, que j’essaie d’en savoir plus. Cela donne, croyez-moi, matière à… méditer !
Alain Morel : Il semble que vous souhaitiez garder secrètes vos connaissances sur le sujet ?
France Gall : D’abord, elles sont encore infimes. Ensuite, ce n’est pas un fonds de commerce. S’intéresser à une certaine approche de l’au-delà, il n’y a évidemment rien de honteux (sou-rire). Mais si je suis discrète, c’est parce que le déclic n’est pas transmissible. Il vient spontanément ou pas. À quoi sert d’embêter les gens avec ça ?
Alain Morel : Êtes-vous croyante ?
France Gall : Oui, mais je n’enferme ma foi dans aucune religion.
Alain Morel : La mort de Michel, peut-on ne pas en vouloir au Ciel ?
France Gall : Peut-être que la pureté de la nature de Michel devenait incompatible avec les aspects de plus en plus malsains du monde.
Alain Morel : On dit que les routes de la connaissance sont, dans ces domaines, peuplées de charlatans.
France Gall : Ils sont faciles à débusquer. Le but de la vie des gens qui ont des facultés hors du commun, c’est toujours de se mettre au service des autres. Ceux qui se prennent pour des entreprises médiatiques, dont l’appât du gain et la conquête du pouvoir sont les motivations rapidement identifiables… voilà les faussaires.
Alain Morel : On murmure de plus en plus fort qu’une autre raison de votre bonne mine retrouvée serait… l’amour ?
France Gall : C’est important de savoir à nouveau qu’on est une femme dans le regard d’un homme. Mais les parenthèses se referment vite quand l’essentiel n’est pas là. Je vis seule avec mes enfants. C’est ma réponse aux murmures.
Alain Morel : En ce moment, vous êtes en tout cas particulièrement jolie… L’entendre, cela vous flatte-t-il ?
France Gall : Côté abnégation de soi, à côté de l’abbé Pierre, je me sens plutôt minable (rire). Moi, quand on me dit que je suis belle, j’avoue, ça me fait sacrément plaisir.
Nouveau CD paru : Simple Jeu rebranché, Bercy 93 (WEA)
Journal Le Parisien
Propos recueillis par Alain Morel
Date : 13 février 1994
Numéro : 15 377