« Je suis sûre que je vais vivre une ou des histoires d’amour, je l’espère, je suis prête. Je ne vois pas pourquoi ma vie de femme devrait s’arrêter. »
Réaliste, optimiste aussi, France Gall veut aller de l’avant.
En 1992, la disparition de Michel Berger l’a laissée désemparée. Il lui faut alors apprendre à affronter le quotidien comme un homme, à ne jamais faiblir devant ses enfants. Elle s’applique à leur « faire une vie gaie », même si, le soir, confrontée à une forme de solitude très dure, elle se demande, à l’abri de leurs regards, ce que, finalement, on vient faire sur terre. France avait perdu ses repères : « Je n’étais alors qu’une petite fille. Il a fallu que je grandisse. »
Pendant deux ou trois ans, elle « cafouille », pour utiliser sa propre expression quand elle repense à ces années de détresse. Et puis, elle décide de balayer ses peurs. Peur de l’avenir. Peur de vieillir. Peur de la solitude. « J’ai voulu laisser la place à la connaissance. Au rire de nouveau, à une certaine paix. A l’amour encore et à la musique toujours. »
Alors, avec Pauline et Raphaël, elle décide de partir sans regarder en arrière.
Avec l’envie gargantuesque d’enregistrer un nouvel album, France Gall s’installe à Los Angeles, dans une villa qu’avait habitée Doris Day. La semaine, les enfants vont au lycée français et elle, elle travaille en studio avec des musiciens américains. « Je suis l’une des rares personnes à aimer cette ville », dit-elle à propos de la cité des Anges. « On voit le ciel partout. » Une bénédiction pour celle qui, avant tout, a besoin de respirer.
Aux Etats-Unis, France apprend à vivre au présent. Elle sèche ses larmes. Et reste attentive aux « propositions de la vie ». « J’ai un besoin viscéral d’être aimée », confie-elle à l’époque. « Mais, en même temps, c’est difficile pour moi de trouver l’homme idéal après Michel. »
La chanteuse avoue aussi qu’il lui serait impossible de vivre avec quelqu’un qui ne soit pas dans le métier et qui ne comprenne rien à la musique.
« Comment m’enticher d’un homme qui se soucierait aussi peu de mes passions ? J’ai eu une histoire avec un type qui n’avait rien à voir avec la musique. Je savais que ça ne pouvait pas durer. Très vite, on ne sait plus de quoi parler. »
En octobre 1995, elle rencontre Paul. L’homme ne rappelle en rien son « Tournesol » de mari. Elle aurait pu le croiser sur l’île de Ngor, au Sénégal, où elle possède une maison, mais c’est en Californie qu’il lui tape dans l’œil.
« L’amour est bizarre », dit-elle, reprenant le titre d’une chanson de Michel Berger.
« Ça vous tombe dessus même si cela ne vous arrange pas. C’est comme ça. On n’y peut rien. »
Paul, pour ce que l’on en sait, est un musicien new-yorkais … noir de 30 ans. Pour le reste, France n’est pas en veine de confidences. « Je n’ai pas envie de me cacher si je peux avoir du bonheur avec quelqu’un, mais il faut de la patience pour savoir si cette personne est devenue essentielle. »
C’est dans son oasis de paix, en face de Dakar, qu’ils passent leur premier Noël ensemble. Aux côtés de son compagnon, la « négresse blonde », comme on la surnomme au pays de « Babacar », refait surface. Ils passent de longues heures sur la plage et mangent sur un rythme de tam-tam. « Mes liens avec l’Afrique ont toujours été très forts », explique France. « Je me sens noire à l’intérieur, mais je suis plus intéressée par le rythme and blues américain que par les percussions africaines. »
Avec Paul, la voilà donc comblée.
Pour Pauline et Raphaël, l’essentiel est que leur maman soit la plus heureuse possible. « Un nouvel amour ne chasse pas le précédent », précise la chanteuse, et ses enfants en sont conscients. « Jusqu’à présent, je sentais que ce n’était pas possible. Ils ont vécu des épreuves, je ne voulais pas en rajouter, mais ils ont grandi. Ils comprennent que j’ai de nouveau une vie de femme. Un homme dans un foyer, c’est formidable. C’est de l’amour supplémentaire. »
Incapable de se déraciner longtemps, toute la petite famille est, entre-temps, rentrée en France. Paul, qui, au départ, refusait de quitter Los Angeles, s’installe, lui aussi, à Paris. Un très beau cadeau pour fêter le premier anniversaire de leur rencontre. Il loue un appartement dans sa rue « pour ne pas la brusquer », mais la « poupée de cire » de Gainsbourg souhaite l’avoir toujours à ses côtés. Il l’accompagne pour la promotion de son album, signe de nombreux arrangements de son spectacle et ils projettent de faire un disque ensemble. « J’ai pris un nouveau chemin », s’extasie, à l’époque, la chanteuse. « Où il me mène, je ne sais pas encore. Simplement, dans cette seconde vie, je sais que quelque chose de formidable va m’arriver. »
1997 se termine malheureusement dans la tragédie. Atteinte de mucoviscidose, Pauline, dont elle n’avait jamais évoqué la maladie, décède. Pour France, qui avait retrouvé pour ses enfants la sérénité qu’elle recherchait désespérément, ce coup du sort est un coup de poignard. « Entre nous, c’est l’amour fou », disait-elle.
« J’ai envie de parler d’eux parce qu’ils m’éblouissent. Quand je les vois évoluer, je me dis que ce n’est pas possible d’avoir fait deux merveilles pareilles. »
L’artiste, qui avait petit à petit repris goût à la vie, perd toute combativité et mène une existence recluse dans son appartement. Une fois de plus, elle doit apprivoiser le chagrin. Mais pour Raphaël, elle doit également faire face. A 17 ans, l’adolescent n’a connu que trop de drames. Il a besoin d’elle pour mener une existence normale. Maman courage, elle puise donc dans ses ressources infinies pour gérer leur quotidien.
Sans Pauline, elle n’a pas eu la force de revenir à Ramatuelle
Cet été, France et Raphaël, unis par un lien indestructible, ont pris le large. Contrairement à la « tradition », les volets de « La Grande Baie », leur propriété de Ramatuelle, sont restés clos. Cette villa, où Michel Berger a trouvé la mort sur le court de tennis, France l’aime pourtant. « Elle a une âme, une vraie », a-t-elle précédemment confié. « La plupart du temps, je n’ai aucun problème avec elle. Mais c’est vrai que je n’y ai pas encore passé un été réussi. C’est la saison bannie. Celle du pire souvenir. J’attends avec impatience le premier été où je m’y sentirai bien. » La partie est remise. Il lui a été impossible d’affronter le sixième anniversaire de la disparition du « prince des villes » sans la franche gaieté de sa fille. Aussi la mère et le fils ont-ils décidé -de sillonner les mers. Pour passer ce cap difficile, ils se sont offert une croisière de trois semaines en Méditerranée, mouillant tantôt l’ancre au large de la Corse, tantôt non loin des côtes de la Sardaigne.
Au retour, ils ont pris la direction des States, là où elle vit comme dans une bulle de protection. La chanteuse y a retrouvé Paul et goûté au plaisir de se déplacer dans l’anonymat. Ensemble, ils ont fait des courses sur Melrose Avenue, un quartier où elle a ses habitudes, ils se sont livrés aux caresses du soleil et des vagues du Pacifique … Aux côtés des Californiens, France Gall se ressource. « J’apprécie leur formidable énergie», a-t-elle autrefois confié. « Ce sont des gens sûrs d’eux, plutôt gais et en forme. Aucun laisser-aller. Les femmes sont coquettes et les hommes, impeccables. C’est agréable, même si pour nous, voir des types s’enduire de crème, se faire tirer la peau et prendre un soin inouï de leur corps, cela fait bizarre.»
Avec septembre ont sonné les cloches de la rentrée, et celles des choix. Allait-elle continuer à vivre en retrait ou regagner Paris, où, en décembre, l’attend une autre épreuve, celle du premier anniversaire de la mort de Pauline? Pour l’équilibre de Raphaël, elle a choisi le pays dont elle porte le nom. Même si son fils est parfaitement bilingue, c’est à Paris qu’il souhaite poursuivre ses études. Et c’est là aussi qu’elle doit, à 51 ans, affronter la réalité. Épaulée par la discrétion, la tendresse et l’amour de Paul, elle espère avoir dans les yeux l’éclat des gens heureux. Quand on a vécu le pire, ne peut-on pas espérer que le meilleur?
Magazine : Ciné Télé Revue
Ingrid Fallay
Date : 24 septembre 1998
Numéro : 39