France Gall : “Cette émission, c’est mon cadeau au public”

Cela faisait de longs mois que l’on n’avait pas eu de ses nouvelles.

Vivait-elle coupée du monde ? Comment allait-elle ? La reverrait-on sur scène ? Ces questions, jusque-là sans réponse, France Gall ne les a pas esquivées. Oui, elle va bien, mieux en tout cas.

La preuve: « régénérée » par l’enregistrement de Tous … pour la musique, elle envisage de recréer Starmania pour une tournée mondiale.

« Je dois d’abord vous dire que j’ai beaucoup de mal à répondre aux questions. J’ai assez parlé depuis quarante ans. »

Le message est clair : elle n’en a pas très envie de cette interview, France Gall. Si elle l’a tout compte fait acceptée, c’est par nécessité. Non pas pour braquer les projecteurs sur elle-même, mais sur cette émission qui va marquer, sur France 2, les quinze années de la disparition de Michel Berger. Alors, elle se livre d’abord avec parcimonie. Et puis, au fur et à mesure qu’elle détaille le contenu de ce programme qui lui tient tant à cœur – « On a voulu faire du beau et du bon », dit-elle -, le rythme de sa voix s’accélère, son visage s’illumine. On la découvre telle que son entourage proche nous l’avait décrite : généreuse et pudique, lucide mais optimiste, malgré tout. Elle a, finalement, décidé de briser pour une fois le silence et de nous faire écouter sa petite musique intérieure.

Pourquoi avoir accepté de présenter cette émission après être restée dans l’ombre depuis si longtemps ?

Vous voulez dire pourquoi j’ai organisé cette émission ? Il fallait marquer les quinze ans de la disparition de Michel. C’est une occasion de le réécouter, de fêter sa musique. J’ai conçu un programme dont j’aurais aimé être l’invitée. C’était indispensable pour me faire sortir de là où je vis.

Quelle a été votre contribution?

Je suis allée chercher les producteurs en leur expliquant ce que je souhaitais : que ce ne soit pas juste une émission de plus sur la musique de Michel, comme on en a trop vu ces dernières années. Je voulais qu’elle ait une âme, qu’elle ne soit pas nostalgique, qu’il n’y ait pas de présentateur et que je ne chante pas. C’est une création, de la belle télévision. Les artistes qui y ont participé sont repartis avec des étoiles dans les mirettes.

Avez-vous choisi vous-même les invités?

Oui. Ils sont tous venus gracieusement, sans faire de promotion. Il y a ceux de la famille, tels Johnny, Françoise Hardy, Alain Chamfort ou Michel Jonasz. Et puis, des voix d’aujourd’hui, comme Christophe Willem, un chanteur extraordinaire qui interprète Viens, je t’emmène ou Christophe Maé, que l’on entendra dans Résiste, une chanson mythique. Pendant l’enregistrement, tout le monde était d’accord sur tout, heureux. Au final, ce tournage que je concevais plus comme un devoir m’a régénérée.

Cet enregistrement vous a replongée dans de nombreux souvenirs de votre vie et de celle de Michel Berger. Était-ce agréable?

La musique de Michel me fait totalement oublier le reste. Mais quand j’ai dû revisionner des images de sa vie, c’était un peu particulier. L’émotion est toujours là.

Cette émission n’a-t-elle pas réveillé votre envie de chanter à nouveau ?

Rien ne m’empêcherait, effectivement, de refaire un album. Mais je n’ai plus envie des à-côtés : la promotion, les séances photos, les interviews … Il faudrait que j’invente une autre manière de faire ce métier. Même si je n’ai pas un pied dans la tombe, l’énergie s’amenuise, c’est trop physique. Ce que je proposerais sur scène risquerait d’être moins bien qu’autrefois. Mes projets se tournent davantage vers la mise en scène. En 2009, on fêtera les 30 ans de Starmania. Avec Luc Plamondon (qui a conçu cet opéra rock avec Michel Berger, ndlr), nous avons le projet de remonter le spectacle et de le faire tourner, cette fois-ci, dans le monde entier. On pourrait aussi imaginer, pour la télé, un documentaire qui raconterait l’aventure Starmania.

Le public continue de vous manifester beaucoup d’affection. N’est-ce pas un argument supplémentaire pour sortir de votre réserve ?

Même si je ne chante plus, le public continue la route avec moi. Il m’attend, mais il me comprend. Je lui donne des nouvelles régulièrement et cette émission, je la conçois justement comme un cadeau que je lui fais. On ne chante pas uniquement pour faire plaisir. Il faut aussi que l’envie soit réciproque. J’ai tout de même consacré quarante années à ce métier. Le départ de ma fille a remis toute ma vie en question et m’a détournée de la musique … En fait, je ne peux pas vous apporter de réponse définitive sur mon éventuel retour.

Quels sont la musique et les chanteurs que vous aimez aujourd’hui ?

On me fait écouter des choses, je sais ce qui se passe, sans plus. Il y a quelques années, Laisse pas traîner ton fils par NTM m’avait bouleversée. J’ai beaucoup aimé aussi l’album d’Éric Clapton, Pilgrim, où figure My Father’s Eyes, ou encore celui de Francis Cabrel, Hors Saison. Aujourd’hui, j’apprécie Diam’s et Justin Timberlake. Mais je fuis le bruit, je suis dans le silence, même si j’écoute quand même.

Avez-vous conscience que le public vous aime aussi parce que, malgré les épreuves endurées, vous renvoyez une image d’équilibre, et même d’un certain bonheur?

C’est ce qu’on me dit souvent et rien ne peut me faire plus plaisir. Je pense que les personnes à qui j’inspire cela auraient elles-mêmes beaucoup de mal à l’expliquer. Cela a à voir avec la vie, et avec la mort. Le fait que la vie continue, malgré tout.

Parvenez-vous à rire de nouveau aujourd’hui ?

Je ne ris plus, je souris. J’ai atteint une sorte d’équilibre, de maîtrise, aussi bien dans les moments douloureux que dans les instants de bonheur.

On vous imagine retirée du monde, assez indifférente à l’actualité immédiate. Fait-on fausse-route?

Totalement, oui, car je m’informe, je regarde les JT à la télé et je lis les journaux. Même s’il est vrai qu’à une certaine époque, j’ai préféré me retirer sur mon île, au Sénégal, sans téléphone ni électricité. Mais, vous savez, c’est très enrichissant de se retrouver face à soi-même. C’est là qu’on avance. Beaucoup de gens se détournent d’eux-mêmes. Moi, j’ai besoin de voir les choses en face.

Si l’artiste fuit les plateaux de télévision, elle peut parfois se montrer accro, chez elle, à certains programmes. Elle a répondu pour vous aux questions de la rubrique « Ma télé ».

MA PREMIÈRE TELE. Mon père a dû faire partie des premières personnes qui ont acheté un téléviseur en France. Il avait placé le poste dans un théâtre de Guignol et il fallait ouvrir le rideau pour regarder les programmes. Petite fille, je rêvais devant la mire.

MON ÉQUIPEMENT TÉLÉ. Il est à la fois cathodique et plasma. Je dispose aussi d’un rétroprojecteur.

LES ÉMISSIONS DE MON ENFANCE. Je me souviens surtout de celles de Jean Nohain, avec la poétesse Minou Drouet, les mercredis après-midi.

MA PREMIÈRE APPARITION TÉLÉ. C’était dans Les Raisins verts, une émission de Jean-Christophe Averty. J’avais pile 16 ans … et c’était en noir et blanc!

LA TÉLÉ DANS MON QUOTIDIEN. Si je l’allume le soir, je ne parviens plus, ensuite, à l’éteindre. Les soirées que je préfère, c’est souvent chez moi, installée devant un bon programme.

CE QUE JE NE RATE JAMAIS. Je suis fan de 24 Heures chrono et j’étais fidèle à Six Feet Under, qui n’est, hélas, plus diffusée. Aujourd’hui, je regarde Big Love, sur Canal+. Sinon, je suis les émissions qui font la part belle aux voix : Star Academy, American Idol et Nouvelle Star, où j’ai pu découvrir Amel Bent et Christophe Willem qui, tous deux, ont des voix extraordinaires. Ils nous font comprendre qu’on ne devient pas chanteur par accident. Je m’intéresse aussi aux grandes rencontres sportives, aux JT et à Koh-Lanta.

MES ANIMATEURS PRÉFÉRÉS. J’apprécie particulièrement Frédéric Taddeï dans Ce soir ou jamais, sur France 3, Samuel Étienne, sur Canal+ et iTélé, et Mélissa Theuriau, sur M6. Je regarde aussi, quand je le peux, Yves Calvi dans C dans l’air, sur France 5.

LES CHAINES AUXQUELLES JE M’ABONNE. Celles qui proposent des reportages ou des documentaires sur des pays où je n’aurai jamais l’occasion de me rendre. Je me suis aussi abonnée à une chaîne dédiée au poker. Mais je la trouve nulle : on n’y comprend rien, c’est mal filmé. Je préfère de loin les émissions que Patrick Bruel anime sur Canal+.

L’IMAGE QUI M’A LE PLUS MARQUÉE. Les avions percutant les tours jumelles du World Trade Center. J’ai compris, à cet instant, que le monde ne serait plus jamais comme avant.

MON MEILLEUR SOUVENIR EN TANT QU’INVITÉE. Les émissions que Christophe Dechavanne animait l’après-midi (Panique sur le 16, C’est encore mieux l’après-midi). C’était à mourir de rire !

MON PIRE SOUVENIR EN TANT QU’INVITÉE. Un Grand Échiquier de Jacques Chancel. Bernard-Henri Lévy m’avait demandé de chanter Cézanne peint. C’était en direct, et le trac m’a envahie. Je ne suis pas parvenue à chanter juste … j’avais honte.

L’ÉMISSION OÙ JE N’IRAI JAMAIS. Tous les talk-shows où on serait susceptible de me poser des questions … et Koh-Lanta !

L’ÉMISSION QUE J’AIMERAIS VOIR À LA TÉLÉ. Celle que je viens de finir pour France 2, Tous … pour la musique.

LA VIE SANS TÉLÉ ? C’est possible, je n’ai aucun doute là-dessus.

Magazine : Télé 2 Semaines
Propos recueillis par Stéphane Lepoittevin
Date : du 10 au 23 novembre 2007
Numéro : 101

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