Engloutie par les drames de sa vie !
Dimanche 7 janvier dernier, l’interprète de Si, maman si, hospitalisée depuis le 19 décembre, rendait son dernier soupir dans les bras de son fils, Raphaël.
Août 2000. Depuis le décès de sa fille Pauline, trois ans plus tôt, elle n’est pas remontée sur scène. Brisée par le chagrin, l’artiste n’a plus le cœur à chanter. Elle a seulement besoin de calme, de nature, de silence. Pourtant, ce 12 août, le public venu écouter Johnny Hallyday à l’Olympia a l’immense surprise de voir apparaître sa frêle silhouette blonde. Pour son ami, et en hommage à son grand amour disparu, Michel, France Gall accepte d’interpréter en duo Quelque chose de Tennessee, que Berger avait composé pour le rocker en 1985. Elle y met tant d’émotion que, bouleversé, Johnny lui glisse à l’oreille : « Putain, t’as failli me faire chialer ! »
Elle renouvelle la performance trois jours plus tard. A-t-elle, comme l’espérait Johnny, retrouvé l’envie d’avoir envie ? Non. Ces brèves apparitions seront ses adieux à la scène.
Le rocker rejoint le Paradis blanc cinq semaines avant elle, comme s’il avait voulu prendre de l’avance pour l’y accueillir… Espérons que ces deux-là se soient retrouvés aussi proches qu’ils l’étaient ici-bas. Une maigre consolation face au vide immense qu’ils laissent dans le cœur de leur public et de leurs proches. Comme en témoigne David Hallyday sur Instagram :
« Quelle fin et début d’année difficiles ! Je ne repenserai jamais assez à ces moments passés avec toi, France, cette belle rencontre artistique ! Quelle belle personne tu as été, nos conversations sur la vie, sur la musique… merci ! »
Tout comme Johnny, France a elle aussi fini par succomber au cancer. Celui du sein, diagnostiqué en 1993, quelques mois après la disparition de Michel Berger. « La concrétisation de mon mal intérieur », expliquait-elle alors.
Mais l’interprète de Résiste a su appliquer à sa vie les paroles de son tube de 1981. Dans sa maison au large de Dakar, elle a tenu bon et vécu sa douleur. Jusqu’à l’épuisement.
Des années plus tard, elle confiera :
« J’en suis arrivée à ce que plus rien ne m’attriste véritablement. Je peux penser à ma fille sans tristesse, ainsi qu’à Michel, sans aucun chagrin. »
Un élément clé de sa reconstruction : Bruck Dawit, son dernier grand amour, rencontré en 1995 en Californie. Avec cet ingénieur du son, Américain d’origine éthiopienne, elle partage une belle complicité musicale. L’année suivante, ils enregistrent ensemble France, son ultime album.
En 2001, elle offre un très beau cadeau à ses fans : une émission autobiographique, France Gall par France Gall, diffusée sur France 3. Son enfance, sa carrière, la perte de Pauline… un portrait poignant.
Si elle a renoncé à chanter, pas question que l’œuvre de Michel tombe dans l’oubli. Pour les dix ans de sa disparition, elle supervise avec leur fils Raphaël l’intégrale de son œuvre et publie un magnifique album photographique, Michel Berger, si le bonheur existe, dont elle écrit les textes.
Peu à peu, France renoue avec le monde. Aux côtés de Mona Chasserio, fondatrice de l’association Cœur de femmes, elle s’engage pour aider celles qui, comme elle, ont été malmenées par la vie.
« Si on me proposait de revivre la même vie, je dirais non. La prochaine fois, je demanderais à avoir une vie plus douce », confiait-elle en 2004 au Parisien.
Et pourtant, elle va mieux. Son sourire lumineux en témoigne, tout comme ses voyages réguliers à Paris, où elle s’investit dans de nombreux projets.
En 2007, elle met en scène Tous… pour la musique, une émission diffusée sur France 2 où Johnny, Vanessa Paradis ou encore Françoise Hardy reprennent les titres de Berger. Deux ans plus tard, elle présente sur la même chaîne Starmania, une histoire pas comme les autres, poursuivant inlassablement son but : faire vivre l’œuvre de Michel.
Pensait-elle déjà à l’incroyable hommage qu’elle lui rendra en 2015 ? Peut-être. Dans un coin de sa tête, elle commençait sans doute à imaginer ce qui deviendra son œuvre la plus personnelle : la comédie musicale Résiste.
Discrète et généreuse
Un titre tristement bien choisi, car c’est justement en 2015 que la maladie la rattrape. Malade, épuisée, France résiste, aidée par Bruck, mobilisant ses dernières forces pour concevoir et diriger ce spectacle ambitieux. Pendant deux mois, Résiste fait salle comble au Palais des Sports, avant de partir en tournée dans toute la France.
« Elle a été incroyablement présente sur les dates. Elle venait saluer à la fin de presque chaque spectacle. Tant qu’elle a pu, elle était là, avec nous », confie le metteur en scène Ladislas Chollat sur France Info.
Depuis l’annonce de sa disparition, dimanche 7 janvier, à l’hôpital américain de Neuilly, les hommages pleuvent. Fans et proches célèbrent la femme humble, discrète et généreuse qu’elle était.
« Je n’arrive pas à l’imaginer morte. C’est vraiment une grande tristesse », déclare Jane Birkin. Elles avaient toutes deux inspiré Serge Gainsbourg et partagé un même drame : la perte d’un enfant. Jane a vécu cette épreuve en 2013, avec la mort de sa fille Kate.
« Je l’ai écoutée beaucoup, je l’ai vue souvent sur scène, et elle m’a beaucoup impressionnée comme chanteuse », confie Françoise Hardy.
Mais c’est peut-être le tendre adieu de Julien Clerc qui résume le mieux ce que ressentent ceux qui l’aimaient :
« France, nous avions 20 ans, des bonheurs, des chagrins. Une part de ma vie s’en va avec toi. »
Lili CHABLIS
Elle était la petite fiancée pop des Français
Devenue très tôt une icône de la chanson, la jeune artiste va sortir de la vague yé-yé le cœur brisé…
Avec sa voix et son swing particuliers, sa beauté à la fois douce et piquante, il semblait aller de soi que France Gall devienne un jour chanteuse. C’était une enfant de la balle, avec des parents artistes. Son père, Robert, est un ancien chanteur lyrique devenu auteur des Amants merveilleux, chanté par Édith Piaf, et de La mamma, titre culte du répertoire de Charles Aznavour. Sa mère, Cécile Berthier, descend d’une prestigieuse lignée de musiciens, puisqu’elle est la fille du cofondateur des Petits chanteurs à la croix de bois. À la maison, les amis qui défilent s’appellent Claude Nougaro, Maurice Chevalier, Hugues Aufray, Marie Laforêt… Rien de plus normal donc que « Babou », surnom donné depuis sa plus tendre enfance et qui lui collera toujours à la peau, commence très jeune, vers 5 ans, à apprendre le piano, avant d’attaquer la guitare à 11 ans. Pas étonnant non plus qu’à l’adolescence, elle forme avec ses deux frères un petit groupe qui se produit l’été sur les plages.
Mais dans la tête de celle qui s’appelle encore Isabelle, il n’est pas question de se projeter dans une vie d’adulte et de transformer une distraction en métier, avec toutes les contraintes que cela implique. Il faut dire que quand son père lui écrit ses premiers titres au printemps 1963, elle n’a que 16 ans ! Un âge bien tendre pour affronter les exigences d’une activité professionnelle… Babou n’est d’ailleurs pas emballée à l’idée de devenir chanteuse. Il faudra l’intervention de Charles Aznavour en personne pour qu’elle accepte de franchir le pas :
« Robert Gall avait amené sa fille à Bruxelles pour que je la pousse à chanter, racontait l’interprète de La bohème, invité du 20 heures de Laurent Delahousse, le 7 janvier dernier. Elle ne voulait pas chanter, mais lui trouvait qu’elle avait une voix merveilleuse. Heureusement, elle a finalement accepté après avoir vu mon spectacle, et elle a fait une carrière extraordinaire. »
“Le petit caporal”
Une carrière qui démarre sur les chapeaux de roues dès 1963 où sa première chanson, Ne sois pas si bête, devient immédiatement un succès ! Certes, la jeune fille enrage de devoir abandonner son prénom, Isabelle, pour celui de France, qu’elle trouve trop dur, à cause de la popularité d’Isabelle Aubret. Son père la surnomme « le petit caporal » en raison de son caractère bien trempé. Puisqu’elle a finalement décidé de se lancer dans la chanson, elle doit en assumer les aléas.
À cette époque, Serge Gainsbourg, auteur-compositeur très doué mais peinant à occuper le devant de la scène, lui écrit plusieurs titres bien classés au hit-parade, comme Laisse tomber les filles.
« J’aimais les mots et le style de Gainsbourg, il était le plus moderne, je chantais ses chansons avec plus de plaisir que les autres », confiera France Gall, des années plus tard, à Gilles Verlant.
Fin 1964, Sacré Charlemagne, dont le texte est écrit par son père et la musique signée Georges Liferman, la consacre chanteuse préférée des enfants, avec un vinyle qui se vend à plus de 2 millions d’exemplaires ! Pourtant, France a enregistré ce titre contre son gré. Elle ne l’aime pas. En 1965, elle retrouve Gainsbourg, qui lui taille un vêtement sur mesure : Poupée de cire, poupée de son. Avec ce tube, elle remporte pour le Luxembourg le Grand Prix de l’Eurovision et devient la petite fiancée pop de tous les Français ! De tous les Français, sauf un…
Claude François, un amour contrarié
En 1964, la ravissante jeune femme est tombée follement amoureuse. Une rencontre coup de foudre qu’elle avait racontée à France Dimanche en 1967 :
« C’était au mois de mai 1964, à Boulogne-sur-Mer, où Claude et moi faisions ensemble une émission de radio. Ce n’est que deux mois plus tard que je devais le revoir. Après son spectacle, je suis allée en compagnie d’autres amis le voir dans sa loge. Nous sommes restés près d’une heure avec lui et, pendant cette heure, pas une seconde nos regards ne se sont quittés. »
Les deux jeunes gens sont si amoureux qu’ils passent des heures au téléphone.
« Il m’appelait vingt fois, trente fois, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit », confie France. « Un jour, il est venu voir mes parents. Claude voulait m’épouser. »
Mais Robert Gall s’y oppose. Sa fille est trop jeune. Et le chanteur est déjà marié à Janet Woollacoot ! L’idylle, vécue en secret, durera un an. Mais la jalousie et la possessivité de Claude mettent fin à cette relation le 20 mars 1965.
« Le soir du Grand Prix de l’Eurovision, quand on m’a annoncé ma victoire, j’ai sauté sur le téléphone pour prévenir Claude. Il m’a répondu d’un ton sec : “C’est très bien, mais pour nous c’est fini. Tu as gagné, mais tu m’as perdu.” »
Il exprimera sa douleur dans Comme d’habitude.
« Claude m’a dit que cette chanson m’était adressée… peut-être pour m’émouvoir. Mais je ne vois pas le rapport entre le texte et notre rupture. Parce que le monstre que décrit la chanson, ce n’était pas moi », dira-t-elle à L’Express en 2004.
“Les sucettes“ une humiliation
En 1966, Gainsbourg lui écrit Les sucettes. France est loin d’en comprendre le double sens.
« Quand Gainsbourg a écrit la petite chanson, je me voyais aller acheter ma sucette, avait-elle confié au Parisien en 2015. C’était l’histoire d’une petite fille qui allait acheter ses sucettes à l’anis, et quand elle n’en avait plus, elle y retournait… »
Avec le succès, elle découvre la véritable signification et se sent trahie.
« C’était horrible ! Ça a changé mon rapport aux garçons. Ça m’a humiliée. »
Le scandale ternit son image et le public la boude. Elle poursuit alors sa carrière en Allemagne.
Julien Clerc, un amour impossible
En 1969, elle tombe sous le charme de Julien Clerc, vedette de Hair. Leur amour doit rester caché :
« Son public était féminin. Il ne pouvait pas afficher son amour, cela lui aurait fait perdre des fans. »
France doit porter des perruques, nier sa relation… Jusqu’à l’impensable : elle doit cesser d’exister. Lassée, elle le quitte en 1974. Julien lui dédie alors Souffrir par toi n’est pas souffrir.
« La chanson traduit parfaitement ce que je ressentais », expliquera-t-il en 2013.
Souffrir, aimer, chanter… France continuera de le faire. Mais avec un autre, avec qui elle réalisera son rêve d’artiste et de famille.
Laurence Paris
Et la chrysalide devint papillon…
En 1974, la jolie Poupée de cire rencontre celui qui va changer sa vie et la hisser au sommet de son art… Avec Michel Berger, l’osmose est très vite aussi intime qu’artistique.
Il est des êtres exceptionnels qui laissent à tout jamais leur empreinte sur le monde. Des talents si extraordinaires qu’ils transcendent les foules, leur procurent une joie pure et sans retenue. France Gall était de ces artistes, de ces élus qui, malgré leur disparition, ne cesseront jamais de vivre dans nos cœurs. Il était d’ailleurs frappant, à l’annonce de sa mort le dimanche 7 janvier, d’entendre résonner à nos oreilles, presque malgré nous, les tubes qui ont jalonné sa carrière, un parcours empli de succès qui s’est pourtant arrêté il y a tout juste vingt ans. Partout, sur les réseaux sociaux ou auprès de proches et d’amis, nos voix se sont naturellement élevées pour entonner “Si, maman si”, “Évidemment”, “Résiste”, “Babacar” ou encore “Ella, elle l’a” et tant d’autres…
Cœur brisé
Une réaction unanime qui surprendrait sûrement la douce France, qui ne se souciait pas de laisser son œuvre lui survivre, bien au contraire : « Qu’il reste quelque chose de moi m’indiffère, expliquait-elle dans le magazine Paroles et Musiques en 1987. Je ne suis pas comme ces personnalités politiques qui éprouvent le besoin de faire bâtir un monument afin de laisser une trace tangible de leur passage : moi, je ne construis que ma vie… »
Une vie marquée par les épreuves et les drames. Mais aussi – parce qu’il vaut mieux commencer par évoquer les événements les plus heureux – par une grande rencontre. Celle qui a fait de la petite Poupée de cire moquée par un Gainsbourg facétieux, de l’icône yé-yé aux allures d’oie blanche du concours de l’Eurovision 1965, une grande artiste, sûre de ses choix et de ses désirs. Celui qui a transformé la chrysalide en papillon, c’est bien sûr Michel Berger.
En 1974, l’auteur, compositeur et producteur ne se remet toujours pas de sa rupture avec Véronique Sanson. Cette dernière l’a “largué” trois ans plus tôt, sans crier gare, “victime” d’un coup de foudre fulgurant avec la star américaine Stephen Stills. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Véro s’est envolée vers les États-Unis avec le leader du groupe Crosby, Stills, Nash and Young, sans explication, sans adieu. Depuis cette séparation brutale, l’auteur de Cœur brisé, un album reflet de son âme tourmentée, s’enfonce dans le travail, ravagé par la dépression, mais stimulé par une créativité foisonnante. Muré dans ses souvenirs, il ignore les nombreuses lettres de France Gall. Subjuguée par le talent de l’homme qui a relancé Françoise Hardy avec Message personnel, elle rêve de collaborer avec lui.
La jeune femme le découvre à la radio. En entendant Attends-moi lors d’un trajet en voiture, elle s’arrête, bouleversée : “Voilà la musique que j’espère depuis des années…” Elle insiste, il refuse. Elle persiste, il hésite. Au bout de six mois, la chanteuse réussit à le convaincre. France n’est alors qu’une débutante à la voix nasillarde, sans grande subtilité, mais dotée d’une capacité de travail et d’une volonté de progrés extraordinaires. La musicalité naturelle de la fille de Robert Gall, auteur entre autres de La Mamma pour Charles Aznavour, est indéniable.
La déclaration d’amour
Leur première collaboration, La déclaration d’amour, précède l’album France Gall en 1976. Très vite, France tombe sous le charme de Michel Berger, ce génie discret, pudique et bienveillant. Pour celle qui a connu le feu des sentiments avec Claude François et une relation fusionnelle avec Julien Clerc, cette osmose rassurante tombe à point nommé.
Le 22 juin 1976, Michel Berger et France Gall se marient dans la plus stricte intimité. Ils fuient le tumulte parisien pour s’installer à Rueil-Malmaison. Heureux et serein, Michel se lance dans de nouveaux projets artistiques. En 1978, il compose en secret Starmania, opéra rock qui deviendra un succès colossal. En parallèle, France triomphe avec Viens, je t’emmène. Leur bonheur s’incarne aussi dans la naissance de Pauline en 1978, puis de Raphaël en 1981.
Mais la mort rôde. En 1982, Michel perd son grand frère Bernard. Il trouve du réconfort auprès de ses amis proches, Daniel Balavoine et Coluche. Jusqu’à ce que le destin les frappe à leur tour : Balavoine meurt en 1986, suivi de Coluche six mois plus tard. France et Michel surmontent ces drames ensemble.
Évidemment
Un voyage au Sénégal les conduit à la rencontre de Fatou, jeune mère qui tente de confier son fils à France pour le sauver. Elle refuse, mais décide de l’aider financièrement, inspirant ainsi Babacar.
Puis vient la tragédie ultime. Leur fille Pauline est atteinte de mucoviscidose. France et Michel se battent pour lui offrir la meilleure vie possible. Mais en 1992, Michel Berger succombe à une crise cardiaque. France, anéantie, affronte ensuite un cancer du sein en 1993. En 1997, Pauline s’éteint à son tour.
En 1997, France Gall met fin à sa carrière et s’installe six mois par an au Sénégal, sur l’île de Ngor, où elle fait construire une maison, un restaurant et une école. Un havre de paix bien mérité…
Clara Margaux
Magazine : France Dimanche
Par Lili Chablis, Laurence Paris et Clara Margaux
Date : du 12 au 18 janvier 2018
Numéro : 3724