France Gall a rejoint son paradis blanc. De “Sacré Charlemagne” à “Résiste”, d’interprète timide à star confirmée, elle a incarné une époque d’insouciance et de fraîcheur, gagnant le cœur d’un public très large. Ses chansons dispensaient du bonheur.
La France Gall enfantine céda ensuite la place à la femme meurtrie, une star courage qui s’est finalement inclinée face au cancer à 70 ans.
On redoutait le pire depuis son admission mi-décembre à l’Hôpital américain de Neuilly pour une infection sévère. Le point final est tombé dimanche matin, un matin chagrin où le cœur s’emballe, où l’on se prend à énumérer tout ce qu’une artiste comme elle peut apporter à notre vie à nous. Car France Gall laisse un vide, comme une page définitivement fermée sur 50 ans de succès. France Gall cumule tant de rôles : jeune fille naïve, artiste yéyé, star qui swingue, maman éplorée, épouse inconsolable. Les adieux sont pluriels. « Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école ? C’est ce Sacré Charlemagne … » Quand une gamine, sage comme une image, sort cette chanson en 1963, elle ignore qu’elle entre comme une princesse dans les années yéyé. Le 45 tours se vend à 2 millions d’exemplaires. Isabelle Gall, née à Paris le 9 octobre 1947, va figurer sur la fameuse photo de “Salut les copains” avec Johnny, Sylvie, Françoise Hardy et les autres. Un poster et un bristol qui valent reconnaissance… Beaucoup ont disparu aujourd’hui.
France Gall apparaît telle une collégienne dans le métier, qui connaîtra bien des métamorphoses. Elle a de qui tenir. Son grand-père est l’un des cofondateurs de la chorale des “Petits Chanteurs à la Croix de Bois”. Son père, Robert Gall, a écrit pour les Compagnons de la Chanson et un des grands succès de Charles Aznavour, “La Mamma”, qu’elle reprendra plus tard en duo avec lui. La petite voit défiler à la maison Hugues Aufray (qui chantera avec elle “À bientôt nous deux”), Marie Laforêt ou Claude Nougaro. Parfois, son père l’emmène dans les coulisses de l’Olympia, une des nombreuses scènes qu’elle va conquérir.
Un jour, il la prend dans ses bagages pour un concert d’Aznavour à Bruxelles. Elle apprend le piano et la guitare avec ses frères jumeaux, Patrice et Philippe, car ils ont fondé un orchestre. La France se libère. La jeunesse est en recherche d’idoles. France Gall a 16 ans. Et comme la vie se montre généreuse à son égard, le jour de son anniversaire sort son tout premier disque, “Ne sois pas si bête”. La France Gall d’alors rassure avec sa mise de jeune fille de bonne famille et son col Claudine. Le destin l’a choisie très tôt ; il va tour à tour lui réserver sa part de bonheurs et quelques clous dans son cercueil. France Gall montre du caractère, on la surnomme “Babou”, mais aussi « Le petit caporal ». Mais tout d’abord, il faut penser à un look. Elle va le trouver assez vite, presque comme une évidence. Dans “France Gall, le destin d’une star courage”, Grégoire Colard et Alain Morel racontent l’épisode : « Voilà qu’on la traîne chez Jacques Dessange, le jeune coiffeur des stars, qui lui essaie plusieurs coiffures pendant toute une journée, prenant lui-même des Polaroïds pour mieux en juger. La “choucroute”, il n’en est plus question ! Toutes les minettes en arborant une dans la rue, il faut trouver quelque chose d’original (la référence à Brigitte Bardot est trop marquée, ndlr). France doit avoir ses longs cheveux lisses, avec une raie au milieu, rejoignant presque les coins de sa bouche pour mieux gommer les rondeurs adolescentes de ses joues. Ce sera son style. Dessange donne un nom à la formule, “Collège Girl”, qui sera imitée par une quantité innombrable de jeunes filles. »
On doit également lui trouver un nom d’artiste, qui sonne bien, qui la différencie. « Isabelle Gall, cela ne va pas, écrivent G. Colard et A. Morel. Isabelle, c’est trop long et cela ne sonne pas bien. Impossible à prononcer correctement dans les pays anglo-saxons ! Et puis, c’est aussi le prénom d’une vedette très populaire, Isabelle Aubret. Il ne peut y en avoir deux. La radio ne parle en ce moment que du match de rugby France-Galles qui va être un énorme événement sportif. Le nom d’artiste est trouvé, ce sera France Gall !» Elle n’est pas chaude. Elle tient à son vrai prénom. Pourquoi maquiller son identité ? Elle va obtempérer mais sans enthousiasme. À la réflexion, France Gall lui portera chance. Roger Gallet, créateur de mode et de parfums, l’assistera pour le choix de ses tenues sur le mode junior. Le rythme est soutenu.
On l’invite à Europe 1. Puis vient la toute première interview, menée par Philippe Bouvard dans les studios de RTL. Malicieux, celui-ci porte vite l’estocade : « Vous commencez à un âge où les autres vont encore à la maternelle. Quand vous aurez 40 ans, vous prendrez votre retraite à Ris-Orangis ? » Elle ignore que cette commune abrite une maison de retraite pour vieux artistes. Il s’est moqué d’elle ; elle lui en tiendra longtemps rigueur. Elle fait ensuite sa première télévision, avec Jean-Christophe Averty dans “Les Raisins verts”. France Gall découvre un monde auquel elle n’est pas préparée. Elle fait le dos rond mais elle ne lâche pas prise. Un jour, son père la présente à Serge Gainsbourg. Il a déjà les oreilles décollées et le regard sulfureux. Étrange association d’une gamine naïve et d’un poète au talent fou qui débouche sur une victoire à l’Eurovision de la Chanson en 1965 à Naples. En interprétant “Poupée de cire, poupée de son”, France Gall remporte le concours pour le Luxembourg. France Gall devient un peu le jouet de Serge Gainsbourg. Une peluche qui ne se doute pas du double sens des paroles des “Sucettes à l’anis”. Elle chante au premier degré ; lui jubile de ce coup du diable. Une fois le pot aux roses découvert après plusieurs années, elle lui en voudra longtemps. Horriblement vexée, elle refusera d’interpréter ce titre qui la gêne totalement. Par fierté, jamais elle n’en parlera à Gainsbourg : « J’ai fait semblant de rien », confiera-t-elle plus tard. Et l’homme à la tête de chou, qu’en pense-t-il ? Il révéla un jour sa parfaite indifférence à son charme dans un style très reconnaissable : « Elle ne m’allumait pas du tout… J’avais l’essence, elle n’avait pas le briquet ! »
France Gall a toujours reçu un énorme écho en Belgique. Avant de remplir le Palais 12 du Heysel pour la comédie musicale “Résiste”, avant de conquérir si souvent Forest National, elle fit d’abord ses premiers pas à Bruxelles. Le 10 avril 1964, elle monte pour la première fois sur scène à L’Ancienne Belgique, en lever de rideau d’un récital de Sacha Distel. Elle se produit cinq soirs dans la salle mythique. Elle doit chanter trois titres mais paralysée par le trac, « elle commence par des couacs, rate ses mesures, chante faux jusqu’à la fin de sa chanson », rappellent Grégoire Colard et Alain Morel. L’AB restera un souvenir cuisant dans son parcours. Mais on ne naît pas star, on le devient, avec des galas, des tournées, aux côtés de Richard Anthony, devant des publics divers qu’il faut chaque fois sentir et mettre de son côté. Rude école où elle affronte seule des admirateurs venus voir une mignonne qui leur plaît avec son air de “Bébé requin”, sorti en 1967 et dont la mélodie est signée Joe Dassin. France Gall mûrit à marche forcée. Le cinéma lui fait du pied. Après tout, Sheila tourne “Bang Bang”, Sylvie Vartan “Patate” et Françoise Hardy “Grand Prix”. Même Alain Delon la sollicite pour “Adieu l’ami” mais elle doit l’embrasser dans une scène, ce à quoi elle se refuse par fidélité à Claude François. Le cinéma ? En vain. Elle mange son pain blanc tout au long des années 60. La première partie de sa carrière se déroule ainsi, à la faveur de succès qui, à l’époque, se déclinent en 45 tours. Cette France Gall a quitté l’enfance et un univers ouaté où, gamine, elle regardait Jacques Martin et Jean Yanne à la télévision. L’histoire d’une douce France s’achève. Les années 70/80 se profilent. Elles seront synonymes de traversée du désert, d’oubli relatif, avec l’émergence de la pop, du rock, d’une série d’artistes au contenu différent, plus profond, parfois plus sombre. France Gall prend un temps de retard. Soudain, ses rengaines – comme « Laisse tomber les filles » ou « Christiansen » – sont rangées au rayon des mièvreries. Elle n’est pas la seule dans ce cas : beaucoup de ceux qui furent sur la fameuse photo de Jean-Marie Périer devant ce mur de briques, avec Johnny juché sur une échelle, en vrai patron, connaissent aussi un sérieux passage à vide. France Gall cochait toutes les cases de la grâce et de l’insouciance. Il ne lui manquait aucune ligne sur son CV, comme l’a souligné Françoise Hardy sur ses qualités de chanteuse. Elle a été propulsée sans préavis de l’adolescence à la gloire, si difficile à aménager. Elle a oublié l’école pour les studios. Elle est passée des vacances en famille dans la caravane installée sur l’île de Noirmoutier aux beaux quartiers parisiens où des pygmalions inventent la bande-son des années 60. Mais tout cela est derrière elle. Sa vie de femme, comme un serment qui va son chemin, avec ses coups de cœur et ses coups durs, ses échardes et ses soleils, la transforme. Et encore, s’il ne s’agissait que de gérer une carrière, mais non le destin va provoquer des rencontres musicales et amoureuses. Vont se confondre une relance professionnelle et une histoire d’amour.
Si France Gall a tant suscité l’affection du public, c’est aussi à travers son histoire personnelle. Celle d’une star aux amours décevantes. Elle connaît une première passion avec Claude François. Elle figure parmi ses choristes. Il la quitte au lendemain de l’Eurovision, sans doute incapable de partager les honneurs. Elle lui inspirera “Comme d’habitude” (popularisée par Frank Sinatra sous le titre “My Way” et écrite par Paul Anka) et “Reste”. La liaison de trois ans est lourde de regrets. Elle vit cinq ans avec Julien Clerc, au sommet avec “Hair”. Elle va l’applaudir en spectacle. Cette soirée est placée sous le signe du coup de foudre. Rien de créatif durant ces trois ans mais une vie à deux, “un duo pour une romance” comme le titre la presse people de l’époque. À leur rupture, il lui dédiera “Souffrir par toi n’est pas souffrir”. Car France Gall a le don de transformer le quotidien en parcours d’artistes. Le dernier pourrait s’intituler “Tout pour la musique … et par amour”. Son histoire avec Michel Berger est jalonnée de tubes, “Débranche”, “Cézanne peint”, “Hong Kong Star”, “Résiste”, “Il jouait du piano debout”, “Ella, elle l’a”. Zénith, Palais des Sports, Bercy, Forest, Pleyel, Olympia, sous la houlette de Michel Berger, une nouvelle France Gall, survitaminée en concert, vit un second âge d’or. Ils se lient à Daniel Balavoine et soutiennent ses initiatives en Afrique. Le couple achète une maison près de Dakar sur l’île de Ngor. Elle participe à SOS Éthiopie. Mais il est dit que France Gall ne jouira jamais d’une totale quiétude. Elle perd son compagnon puis sa fille Pauline. En 1993, elle affronte un cancer du sein. En 1997, elle annonce son retrait, à 50 ans. France Gall ne chantera plus. Mais par son trajet, ses prises de position, sa sincérité et la dignité déployée à chaque épreuve, elle reste infiniment sensible et présente dans le public. France Gall a vendu 20 millions de disques. « Elle a été tour à tour adulée, fêtée, oubliée et enfin portée définitivement aux nues par un public finalement fidèle, écrivent G. Colard et A. Morel. Dans sa vie personnelle, elle a cherché et trouvé peu à peu un équilibre en harmonie avec sa volonté d’aller vers l’essentiel. »
« J’ai appris à aimer la solitude alors qu’autrefois j’en avais une peur panique. Il fallait que je sois toujours entourée. Et Dieu sait si je l’étais ! Maintenant, ce vide, c’est le comble du bonheur. » Ces lignes datent de 2004. Depuis lors, elle apparaissait peu. Elle avait accepté un long portrait sur France 3. Elle avait mis toutes ses forces dans la comédie musicale “Résiste” à la mémoire de Michel Berger. Mais elle avait tout de même rompu sa promesse en chantant un duo en août 2000. Elle était sortie de sa tanière. Son partenaire pour l’occasion s’appelait Johnny Hallyday. Ensemble, ils entonnèrent “Quelque chose de Tennessee”. Ils se retrouvent à un mois de distance tous deux disparus dans une même onde de choc. Bernard Meeus.
En novembre 2015, France Gall lançait sa comédie musicale “Résiste” au Palais des Sports de Paris. Elle avait reçu “Soir mag” pour parler de ce projet qui lui tenait tant à cœur et évoquer son travail avec Michel Berger.
Sa dernière interview
Dix-huit mars 2015. Hôtel Royal Monceau. Dans les couloirs du palace parisien, l’effervescence était à son comble. Le staff de France Gall bourdonnait comme dans une ruche. Il faut dire que la chanteuse n’avait pas pour habitude de rencontrer les médias. La dernière fois qu’elle l’avait fait pour la presse belge, c’était au début des années 1990 ! Selon son chargé de communication, France avait donné la consigne de ne pas lui poser les sempiternelles questions “hors sujet” comme celles concernant sa rupture avec Claude François, ou la disparition de sa fille, survenue en décembre 1997.
Lorsqu’elle apparut dans la suite réservée aux interviews, elle brisa la glace sur-le-champ, avec son sourire irrésistible : « J’adore les Belges et la Belgique ! Vous êtes tous tellement plus bienveillants que les médias français ! »
Gourmande – elle ne pouvait résister aux pâtisseries disposées sur un plateau-, elle évoquait le spectacle “Résiste” mais se confiait aussi sur ses débuts dans le métier : « Durant les dix premières années de ma carrière, j’ai eu beaucoup de succès. J’ai gagné l’Eurovision, j’ai chanté en sept langues et j’ai fait le tour du monde. Mais je n’ai jamais été heureuse. À part avec les chansons de Serge Gainsbourg, je n’ai jamais pris de plaisir à faire cette musique. » France Gall poursuivait sur son travail avec Michel Berger : « Avec lui, j’ai découvert une manière de travailler qui me correspondait totalement. C’est-à-dire la création à l’état pur. Il m’a donné le goût de travailler en studio et de faire de la scène. Ensemble, on pouvait passer des heures à chanter au piano. »
En avril 2016, “Résiste” triompha au Palais 12. France vint à Bruxelles pour soutenir sa troupe. Elle rendit hommage aux victimes des attentats survenus dans notre capitale un mois plus tôt. France comparait Stromae à Michel Berger : « Même s’il chante différemment, je le sens de la même famille musicale. Il y a une rythmique fantastique dans ses chansons. Je suis allée le voir en concert. Je me suis assise sur ses genoux, je l’ai pris dans mes bras et je lui ai dit : « C’est bien, tu as bien travaillé. Bienvenue ! »
À la fin de l’entretien, France nous confiait ses projets à demi-mot : « La carrière, c’est fait. La famille, c’est fait. Maintenant, je peux créer et j’ai des projets pour quinze ans ! Michel me faisait confiance, donc je m’occupe bien de sa musique. » Le succès de “Résiste” avait donné des ailes à France Gall. On sait aujourd’hui qu’elle travaillait à une suite de sa comédie musicale, avec d’autres chansons de Michel Berger. Et puis, si la maladie n’avait pas été plus forte qu’elle, la chanteuse, devenue productrice, songeait à remonter “Starmania” dans les prochaines années … Jean-Marie Potiez
La muse, mais aussi la femme de Michel Berger
La chanteuse a partagé sa vie avec le compositeur entre 1973 et 1992.
Inconsolables, l’un depuis le départ de Véronique Sanson pour un autre homme, l’autre au bord de la rupture avec Julien Clerc … Le moins que l’on puisse dire, c’est que Michel Berger et France Gall n’étaient pas dans l’optique d’entamer une relation amoureuse lorsqu’ils ont commencé à se fréquenter. Séduite par l’une des chansons de Michel qu’elle avait entendue à la radio, celle qui a commencé sa carrière avec le tube “Ne sois pas si bête” décide de prendre contact avec lui afin d’imaginer une collaboration. Mais ce n’est pas gagné d’avance ! En 1973, après l’avoir croisé dans les couloirs d’Europe 1 et demandé d’écouter une maquette de chanson, Michel Berger refuse de travailler avec elle. Suite à l’insistance de la jeune femme, il finit par écouter les titres proposés par la maison de disques de France. « C’est nul », lui envoie-t-il sans ménagement. Heureusement, le talent de l’un et le charme de l’autre finiront par opérer. « À force de le connaître, de le rencontrer, de travailler au piano, je suis tombée amoureuse de lui, et lui aussi », confiait France. Une love story très vite rendue publique. Avec un titre tel que “La déclaration”, difficile pour les deux chanteurs de nier l’évidence ! À partir de là, le destin commun de Michel Berger et France Gall est scellé, tant sur la scène professionnelle que dans leur vie privée. Le compositeur de talent ne cessera de créer pour celle qui deviendra sa femme en juin 1976. Producteur des albums de France, Michel intègre tout naturellement son épouse dans ses nombreux projets. Dans les comédies musicales “Made in France” et “Starmania”, la jolie blonde bénéficiera d’une place de choix.
Devenue maman – de Pauline en 1978 et de Raphaël en 1981 :- entre tous ses projets, France Gall s’investit également dans plusieurs actions humanitaires. En 1984 et 1985, Berger et Gall créent avec Daniel Balavoine l’association “Action écoles”. Son spectacle Tour de France 88, mis en scène par son mari, remporte un énorme succès. Malgré la notoriété et la réussite, la chanteuse s’éloigne ensuite du monde musical. Elle ne revient en studio qu’à la demande de Michel Berger pour enregistrer avec lui “Double jeu”, la dernière collaboration entre ces deux âmes sœurs. Une histoire d’amour qui s’achève brutalement le 2 août 1992 lorsque Michel Berger s’effondre sur un terrain de tennis, terrassé par une crise cardiaque. Une histoire d’amour digne des contes de fées. Ou presque. Car il semblerait que la relation entre les deux artistes n’ait pas toujours été des plus sereines. Au moment du décès de Michel, ce dernier était d’ailleurs sur le point de partir s’installer aux États-Unis avec une autre femme. Ne supportant pas le désir de France d’arrêter la chanson, le compositeur aurait interprété cette décision comme un abandon… de plus. Lui-même ayant été abandonné très jeune par son père puis par Véronique Sanson, il se sent à nouveau laissé pour compte. « Il a alors pour projet de s’expatrier à Los Angeles, à Santa Monica pour être précis », confie Yves Bigot, biographe de l’artiste. « Il cherchait une villa et s’était renseigné sur l’inscription des enfants à l’École française. Il voulait poursuivre sa carrière américaine, commencée quelques années auparavant avec un album en anglais sur lequel il ne chantait pas, assisté d’excellents musiciens américains. Il s’était entouré de deux chanteuses. L’une d’entre elles pouvait être Beatrice Grimm mais je n’en ai pas la preuve formelle. » Même s’ils vivaient encore ensemble, France et Michel semblaient au bord de la rupture. Une situation que la chanteuse n’a jamais voulu confirmer ni commenter. Comme si jusque dans la mort, elle voulait que son histoire d’amour avec Michel Berger reste dans la légende.
Bruck, son dernier amour
La plus longue histoire d’amour de France Gall aura sans conteste été la moins médiatisée. Depuis plus de 20 ans, la chanteuse partageait la vie de Bruck Dawit. Une relation discrète et profonde. C’est en 1995, trois ans après le décès de Michel Berger, que France fait la connaissance de Bruck Dawit en Californie. Alors qu’elle est accompagnée de ses enfants, des amis communs lui présentent cet homme d’origine éthiopienne vivant à New York. France et Bruck partagent une même passion, celle de la musique. Ingénieur du son, il est aussi compositeur, arrangeur, producteur. Il a travaillé avec les plus grands noms de la scène américaine dont Prince, Michael Jackson, Bruce Springsteen ou encore les Rolling Stones. En couple, le duo écrira plus tard la comédie musicale “Résiste”, en hommage à Michel Berger. Si France Gall assure la promo du spectacle sur les plateaux télé, son fidèle compagnon préfère rester dans l’ombre. Mais il n’est jamais loin d’elle. Lorsqu’elle s’est éteinte dimanche, France Gall était entourée des deux derniers hommes de sa vie, son fils Raphaël mais aussi Bruck. Ce dernier lui aura permis de retrouver la joie de vivre après le décès du père de ses enfants mais il l’aura surtout épaulée en 1997 lorsque Pauline perdit son combat contre la mucoviscidose. Face à ces drames successifs, Bruck lui aura été d’un soutien indéfectible. Sophie Lagesse
Avant de rencontrer Michel Berger, France Gall a connu deux belles romances … qui se sont mal terminées.
Claude François et Julien Clerc, ses premiers amours.
En 1964, France Gall est âgée d’à peine 17 ans quand elle rencontre Claude François. À 25 ans, le chanteur pour midinettes est quant à lui déjà consacré star. La jeune et jolie chanteuse débutante lui a tapé dans l’œil. Ils se mettent en couple. Et tout va bien pour eux tant que France joue les groupies de Cloclo et surtout avant qu’elle obtienne quelques succès dans sa propre carrière. Cloclo se montre extrêmement jaloux. Il ne supporte pas qu’elle fasse de l’ombre à son ego qu’il a déjà immense. Jusqu’à quitter sa petite amie, après deux ans de liaison, le soir … où elle remporte l’Eurovision 1965 avec la chanson “Poupée de cire, poupée de son” écrite par Serge Gainsbourg ! Sa rupture avec France Gall inspire à Claude François les paroles douces-amères de “Comme d’habitude”. En 2012, à l’occasion de la sortie du film « Cloclo » réalisé par Florent Emilio-Siri avec Jérémie Renier dans le rôle-titre et Joséphine Japy pour interpréter France Gall, la chanteuse avait été interviewée par « Le Parisien » : « Je ne me suis pas reconnue. En revanche sur Claude, le film est assez approchant. On n’est pas touché quand il s’en va parce qu’il est tellement odieux pendant deux heures … c’est délicat de faire des films sur les gens. Mais enfin, Claude était quelqu’un de pas facile. Personne n’était heureux autour de lui. »
Les deux artistes resteront fâchés de nombreuses années. Ils ne se reverront qu’en 1973 et chanteront en duo dans une émission en septembre 1974. C’est qu’entre-temps, France Gall est tombée amoureuse d’un autre chanteur à succès, Julien Clerc, à l’époque la star éclatante de la comédie musicale “Hair”. Une histoire d’amour rendue publique en décembre 1969 et qui durera jusqu’en 1974. Mais France Gall est une nouvelle fois victime du succès de son compagnon. Sur les conseils des managers de Julien Clerc, elle accepte de rester dans l’ombre pour ne pas qu’il déplaise à ses fans féminines ! Il est censé rester célibataire pour mieux les faire défaillir et acheter ses disques ! Et France accepte d’être sacrifiée sur l’autel du succès et du business. Elle va jusqu’à porter des perruques brunes pour assister à ses concerts. Son existence est niée. Une situation invivable pour la jeune femme qui, cette fois, sait ce qu’elle veut. Et elle veut plus, notamment qu’il lui écrive des chansons. Ce qu’il ne fait pas. Lassée, elle choisit de le quitter. Julien Clerc mettra du temps à s’en remettre. Un an et demi après leur rupture, il écrit “Souffrir par toi n’est pas souffrir”. Elle ne quitte pas ses pensées. Par contre, France Gall a déjà oublié Julien Clerc. Désormais, Michel Berger occupe toutes ses nuits… Mais Julien Clerc en garde tout de même un bon souvenir. Sur son compte Twitter, il lui a rendu hommage ce dimanche : « France, nous avions 20, ans, des bonheurs, des chagrins. Une part de ma vie s’en va avec toi. Julien. » Pierre De Vuyst
Le Sénégal, son autre pays – La chanteuse y vivait sur une petite île sans électricité.
Surnommée ”la Française la plus Sénégalaise”, France Gall se partageait depuis des années entre la France et ce pays d’Afrique. Depuis de nombreuses années, elle y possédait une maison à Ngor. C’est en pirogue qu’il faut rejoindre cette minuscule île se situant à moins de 400 mètres de la côte longeant Dakar. Balayée par le vent et fleurie de bougainvilliers, cette île ne faisant que 500 mètres de long ne compte que 100 habitants. La célèbre chanteuse s’est invitée parmi eux après être tombée sous le charme de la quiétude locale.
« Le Sénégal, c’est une autre planète, ça vous remet bien les choses en place parce que c’est très dur », confiait-elle. « Ce n’est pas les vacances, et ce contact avec les gens … Je vis dans un village. Je n’ai jamais compris pourquoi j’étais attirée par ce pays. (…) Lorsque je me rends sur mon île, il y a une espèce de purification extraordinaire. On arrive dans un endroit où il n’y a pas l’électricité, on est avec la nature, les oiseaux, pas de route et pas de voitures. » Ses nombreux séjours à Ngor lui auront permis de panser ses plaies et de traverser les épreuves loin du tumulte parisien. « Je me suis beaucoup reconstruite dans cette maison perdue au milieu de la mer, sans électricité. J’ai découvert cette île en 1968 lors de vacances. Depuis, j’y suis toujours revenue. Il y avait une ferme normande à vendre, ça m’a fait rire d’aller tellement loin pour trouver des colombages ! En général, quand j’arrive, on s’embrasse, on se parle, les femmes m’apportent des fruits, on boit du thé. Après la perte de Michel, puis celle de ma fille, j’ai aimé la façon dont elles m’ont accueillie, sans un mot, en se couvrant le visage du pagne de leur boubou. J’ai trouvé magnifique cette façon de montrer leur peine. » Sur place, les habitants respectent la tranquillité de leur célèbre voisine. Si la maison de l’interprète de “Si maman si” est connue de tous, ils ne sont pas bavards lorsque des touristes un brin trop curieux posent des questions sur la vie privée de France. Car ils le savent, ils lui doivent beaucoup. « Je n’en parle jamais, mais j’ai ouvert un restaurant là-bas, sur la plage. J’ai fait construire quelque chose, j’ai mis à l’intérieur une quinzaine de personnes pour travailler. Ce qui signifie que des centaines de personnes vivent au village grâce à ça », expliquait-elle dans les colonnes de “VSD”. L’amour de France Gall pour le Sénégal résonne en particulier dans sa chanson “Babacar”. En 1986, lors de l’un de ses séjours là-bas, elle rencontre une jeune maman de 18 ans, mère d’un bébé âgé d’un mois, Babacar. Dans une situation financière difficile, Fatou demande à France d’adopter son enfant. Mais c’est une autre décision que la chanteuse va prendre. « Avec Michel, on a décidé, plutôt que de prendre cet enfant avec nous, de donner un métier à sa mère qui voulait être couturière. On lui a payé ses études. Une fois qu’elle a obtenu ses diplômes, je lui ai acheté une machine à coudre, donné de l’argent afin qu’elle se procure des tissus, des fils. J’ai installé Babacar et sa mère à Dakar pour que celle-ci puisse étudier. Ensuite, elle a voulu rentrer dans son village et… je ne les ai plus revus », confiait-elle en 2015. Un fils de cœur aujourd’hui âgé de 32 ans et dont le prénom est connu dans le monde entier. Sophie Lagesse
En parallèle à une carrière au top, France Gall s’est aussi réalisée en tant que femme. En 1978 et en 1981, elle mit au monde Pauline et Raphaël.
Si d’autres stars de l’époque n’hésitent pas à mettre en scène leur bonheur familial et invitent même les paparazzis jusqu’au chevet de la maternité, France et Michel mettent un point d’honneur à protéger leurs enfants du monde du show-business. Ils appliquent à la lettre l’adage “pour vivre heureux, vivons cachés”. Ce n’est que très rarement que les minois des deux enfants apparaissent dans la presse. Les principales photos de Pauline et Raphaël sont malheureusement prises dans de tristes circonstances, celles des obsèques de Michel Berger le 6 août 1992. De l’extérieur, ils renvoient l’image d’une famille heureuse évoluant dans un monde sans problèmes. Et pourtant, le clan Berger vit au rythme de la maladie de Pauline, la mucoviscidose. C’est après un séjour à la montagne lors duquel la petite fillette de 4 ans n’a cessé de tousser que les deux stars apprennent le terrible mal dont souffre leur fille. Afin de la protéger et d’essayer de lui garantir une vie des plus normales, le couple décide de taire cette maladie à l’entourage. Pendant des années, c’est en silence qu’ils se battront ensemble contre la mucoviscidose. Seuls leurs emplois du temps pourraient permettre aux plus observateurs de deviner qu’un drame se joue en coulisses. Les deux artistes travaillent en alternance, l’un des deux parents pouvant ainsi toujours rester auprès de Pauline.
En décembre 1997, cinq ans après le décès de Michel Berger, la jeune fille de 19 ans perd son combat contre la maladie : France Gall et son fils Raphaël sont les derniers survivants de cette famille marquée par la maladie et les décès. Après le départ de sa fille, France sortit de son habituel silence et se confia à plusieurs reprises sur le drame vécu : « On ne le croit pas, on n’en revient pas de vivre un truc pareil, parce que c’est justement le truc que l’on ne peut pas et que l’on ne veut pas vivre. Tout le monde dit que c’est impossible et inhumain à vivre, et pourtant on me le fait vivre. Je n’en revenais pas que ça soit possible … », confiait-elle. « J’ai tout de suite voulu être la maman qui réussit le plus au monde à survivre et à intégrer cette idée d’avoir perdu un enfant. De pouvoir le plus facilement vivre avec ça, parce que sinon on est foutu si on y pense, si on est dans le regret… » Lors des obsèques de Pauline, France lui avait adressé un poignant message. « Il n’y a pas, je dis bien pas, une personne qui ait croisé le regard de Pauline, même furtivement, qui ne se soit pas arrêtée quelques instants sur elle. Elle dégageait quelque chose d’autre que les autres : elle n’était pas tout à fait comme les autres. Moi, je la trouvais extraordinaire mais c’était pour moi normal de penser ça. Si les gens s’arrêtaient sur elle, ce n’était pas tant parce qu’elle avait les plus beaux yeux du monde (et là, je sais qu’elle sera sensible à ce compliment), mais c’est parce qu’il y avait un truc derrière qu’on appelle, nous, la profondeur. » Il y a peu, la chanteuse revenait sur la force qui lui avait permis de surmonter la perte de son enfant. « C’est extraordinaire de l’avoir connue pendant 19 ans, on me l’a reprise mais on me l’a quand même donnée pendant 19 ans. Et pour Michel, c’est aussi ça que j’ai pensé tout de suite. Quelle chance j’ai eue de le rencontrer. Ce sont des idées très fortes qui m’ont aidée énormément. » Deuxième enfant du couple d’artistes, Raphaël a hérité du talent de ses parents et de leur amour de la musique. Diplômé de l’École Internationale Bilingue de Paris, celui qui a choisi de prendre le vrai nom de son père, Hamburger, est devenu ingénieur du son. Préférant le confinement des studios d’enregistrement à la scène, il collabore dans l’ombre avec de grands noms tels que Guillaume Canet pour le film “Blood Ties” ou encore Géraldine Nakache pour “Nous York”. C’est d’ailleurs dans la “Grande Pomme” que Raphaël a choisi de vivre.
Fuyant les drames, il avait trouvé refuge aux États-Unis. Un exil qui ne l’a pas empêché de mener également à bien sa carrière musicale en France. Il a ainsi été chargé de l’ambiance musicale du bar du Ritz à Paris. Depuis plusieurs semaines, Raphaël ne quittait plus la capitale parisienne et le chevet de sa mère. Jusqu’aux derniers instants, il est resté à ses côtés. Devenant de facto à seulement 36 ans le seul survivant du clan Berger et l’héritier de son empire musical. Sophie Lagesse
Magazine : Soir Mag
Soir Mag est un magazine Belge : https://soirmag.lesoir.be/
Date : 10 janvier 2018
Numéro : 4464