Le 7 janvier 2018, la chanteuse décédait à l’âge de 70 ans. Une artiste qui avait connu ses plus grands succès sous l’impulsion du couple mythique qu’elle formait avec Michel Berger.
L’attente est grande.
Sept ans que le rideau ne s’est pas levé sur elle. Un air de clarinette, joué lentement, emplit l’enceinte veloutée du Théâtre des Champs-Élysées, à Paris (VIII”).
C’est subtil, presque subliminal, mais on reconnaît la ritournelle de « Poupée de cire, poupée de son », tube de 1965.
Une petite vingtaine de secondes à peine et puis la mélodie est chassée avec fracas : un sacré riff de guitare, énergisant, renvoie le hit lauréat de l’Eurovision au rang de relique moyenâgeuse : place à « Musique ».
« Faisons taire les mélancoliques, entonne-telle.
Avec notre propre rythmique et notre joie. »
Un changement de tempo qui symbolise la mue d’une chanteuse, d’une femme. Après une traversée du désert et la tentation viscérale de tout plaquer, ce vendredi 14 avril 1978 marque un événement : le premier concert depuis 1971 d’une certaine France Gall dont l’alliance, musicale et amoureuse, avec Michel Berger fait déjà des étincelles.
Sur les planches, radieuse avec son nœud papillon rouge assorti à son pantalon, l’artiste enchaine ses nouveaux tubes au milieu de 17 musiciennes et danseuses. Elle retrouve ses repères. Et va devenir mère. Le public ne le sait pas, mais la chanteuse est enceinte. En coulisses, le futur papa fait des signes à son épouse quand celle-ci s’agite un peu trop sur scène.
Elle a tout juste 30 ans. Et déjà mille vies. Enfant de la balle – son papa a écrit « la Mamma » pour Aznavour, Isabelle Gall a dû changer de prénom dès 15 ans pour ne pas faire d’ombre à Isabelle Aubret, vedette de sa maison de disques. Elle vient de traverser sa jeunesse comme on embarque dans un grand huit : à toute allure, alternant de hauts et bas, frissons et joies.
Son adolescence a été balayée par la tornade yé-yé. « Laisse tomber les filles », « Sacré Charlemagne », « Bébé requin », Gainsbourg comme premier mentor, des boy-friends nommés Cloclo puis Julien Clerc … Tout va si vite, même la disgrâce. Engoncée dans son costume de lolita, elle voit son succès s’étioler. Boudée en France, elle trouve refuge un temps auprès du public allemand, cherche la martingale, change d’auteurs. Rien à faire.
Has been à 25 ans : cruelle destinée pour l’ex-petite fiancée des Français. « Personne ne voulait miser 1 kopeck sur moi, confiera-t-elle après coup au Parisien. Les années 1960 me collaient à la peau. Les gens ne savaient pas très bien qui j’étais, et moi non plus. Avec les textes que je défendais, je n’arrivais pas à être heureuse. »
À la radio, en 1973, passe « Attends-moi », une des pépites du premier album solo de Michel Berger, « Cœur brisé ». Celui de France Gall fait un bond : la relance de sa carrière au point mort, ça sera lui, sinon personne. « Il y avait une vraie fraîcheur, une modernité, décryptera-t-elle. On sentait une gaieté, mais aussi une sensibilité, une façon très simple de dire les choses. C’était exactement ce que j’avais envie de faire. »
« C’est absolument nul »
Michel Berger
Quand on connaît la suite de l’histoire – leurs deux enfants, les montagnes de disques d’or, les tubes indémodables qui serviront de bande originale à la France Mitterrandienne, on imagine le démarrage de leur duo comme une évidence. Il n’en est rien. Ces deux-là se sont déjà croisés dans le passé. Ils se revoient par hasard dans les couloirs d’Europe 1.
- Elle : « J’aimerais vous faire écouter ce que ma maison de disques veut que je sorte. »
- Lui : « C’est absolument nul ! »
Il ne fait que confirmer ce qu’elle pense. Marqué par sa rupture récente avec Véronique Sanson et peu fan du répertoire de la jeune blonde, Berger se fait prier pour collaborer avec l’ex-baby Doll. Il hait par-dessus tout « Sacré Charlemagne », point commun qu’il partage … avec Gall elle-même. France est toutefois conviée à poser sa voix sur quelques strophes de « Mon fils rira du rock’n’roll », une chanson que Michel Berger enregistre pour son deuxième album.
Une prise. C’est dans la boite. Si c’est un test, il est concluant.
Elle qui, plus jeune, s’offrait des échappées belles sur des morceaux jazzy gravés en face B de ses 45 tours sait faire swinguer la langue de Molière. Une qualité en or aux yeux de Michel Berger, qui s’est lancé dans une vaste entreprise de dépoussiérage de la chanson française. « Je fais une musique très spéciale, avec un balancement dans les mots assez particulier, et il y a très peu de gens qui peuvent le chanter : elle est tellement fantastique », soufflera-t-il admiratif à la télévision.
Une complicité est née. Elle commence au piano, déborde rapidement. « Quand je suis seul et que je peux rêver. Je rêve que je suis dans tes bras. » Michel s’assoit un jour au clavier et lui fait, littéralement, sa « Déclaration », qui deviendra le premier tube de France « made in Berger ».
Coup de fil à 4 heures du matin
Une nuit, en cette année 1974, vers 4 heures du matin, le téléphone sonne chez la chanteuse. À l’autre bout du fil et de la planète, Véronique Sanson, partie vivre aux États-Unis avec son nouveau fiancé, le musicien Américain Stephen Stills. Les deux femmes s’apprécient. « Je crois que je suis en train de tomber amoureuse de Michel », se livre France Gall. Un long silence. « Je ne sais pas comment on fait pour ne pas tomber amoureuse de Michel », lui répond Sanson avant de raccrocher aussi sec.
Un album et puis deux. Un succès et puis plein.
« Comment lui dire », « Samba Mambo », « Ce soir je ne dors pas », « Musique », « Si maman si » … Grande sœur de toutes les jeunes femmes dont elle épouse les espoirs et les doutes, la nouvelle France est née. Michel Berger lui offre des textes sur mesure. Dans une formule flaubertienne, le musicien clame : « France, j’ai une impression très bizarre que c’est moi… »
Ils ne courent pas les flashs. La première fois qu’ils s’affichent véritablement ensemble ? Casquette bleue de poulbot pour elle, exubérant foulard rose pour lui, c’est pour partager leur premier duo. « Ça balance pas mal à Paris », tube de l’été 1976 imaginé par Michel pour les besoins d’une éphémère comédie musicale, retransmise sur la Une. Un mois plus tard, ils se marient à la mairie du 16e arrondissement. Elle en blanc, lui en noir. Complémentaires, comme toujours.
Une comédie musicale ?
Une idée fixe du « Professeur Tournesol », le surnom donné par « Babou » à Berger. Le sujet était déjà à l’ordre du jour de leur premier voyage commun en 1974. À Los Angeles, les deux jeunes chanteurs commencent à enregistrer ce qui doit donner naissance à « Angelina Dumas ». Une histoire inspirée de l’affaire Patricia Hearst, fille d’un magnat de la presse qui, après un enlèvement, tombera amoureuse d’un de ses ravisseurs.
Les textes de Michel sont jugés trop tendres. Le projet finit à la corbeille. Enfin … pas tout à fait : une love story entre kidnappeur et kidnappée figure bien dans « Starmania », la comédie musicale que Michel Berger écrit avec le Québécois Luc Plamondon au printemps 1977. Une collaboration née du flair de France Gall : c’est elle qui, ébahie par l’album signé par le parolier canadien pour Diane Dufresne, conseille à son mari d’appeler l’auteur.
Pas prévue au casting de Starmania, mais …
Ces deux-là s’entendent comme larrons en foire. Sous le soleil du cap d’Antibes où le couple Berger-Gall a loué une villa avec piscine, Michel et Luc donnent vie à l’intrigue de l’opéra-rock prophétique.
Le premier doit parfois rappeler à l’ordre le deuxième pour qu’il ne profite pas trop de ses vacances azuréennes et se remette à la tâche. Mais de « Monopolis » au « Blues du businessman », le duo est prolifique et, entre mai et juin 1977, a déjà terminé une douzaine de morceaux
Oui, mais qui va chanter tout ça ? L’idée est de miser sur un jeune casting franco-canadien. Assise dans son canapé, France flashe un dimanche sur un chanteur écorché vif aux cheveux longs se produisant pour la première fois chez Jacques Martin. « Il faut le rencontrer », lance-t-elle à Berger. Bonne pioche : Daniel Balavoine deviendra l’une des vedettes de Starmania. Et un ami précieux du couple.
À l’origine, France Gall et Diane Dufresne ne sont pas prévues au casting. Mais vu la difficulté à financer ce barnum inédit, il serait dommage de se passer de telles vedettes. France sera Cristal, la journaliste kidnappée par Johnny Rockfort (Balavoine). Un album, censé appâter le chaland avant le spectacle, sort à la rentrée 1978.
Problème : dans un premier temps, c’est un bide. Avec la complicité de l’amie Marie-France Brière, à la direction des programmes d’Antenne 2, une émission de télé est montée en urgence le 11 décembre 1978. Miracle, elle permettra aux ventes d’exploser, au spectacle de prendre son envol.
Berger, Plamondon, Balavoine, Dufresne, Thiebault. Tout le monde mouille le maillot sous l’œil des caméras pour faire découvrir « Starmania » au grand public. Sauf France Gall. Mais elle a un mot d’absence sous forme de carnet rose : elle vient tout juste d’accoucher d’une petite Pauline. Un frère, Raphaël, suivra en 1981 : « C’est ce qui a fini de m’épanouir, je n’aurais jamais pu vivre sans enfants. »
La mayonnaise « Starmania » a pris. De nouvelles chansons sont ajoutées en vue du show qui voit le jour au Palais des Congrès le 10 avril 1979. Jusqu’au 3 mai, 96000 personnes défilent dans un Palais des Congrès bondé. Mais pas de prolongation possible en raison de l’agenda des chanteurs. Celui de France Gall en tête. La jeune maman ne chôme pas. Entre 1980 et 1981, deux nouveaux albums signés Berger finissent de l’installer à la première place des chanteuses les plus populaires de France. « Il jouait du piano debout », « Tout pour la musique », « Diego libre dans sa tête » trustent les hit-parades.
L’émotion de Raphaël
Le roi Elton John en personne demande à Michel de lui écrire un duo avec France, « Donner pour donner ». Une famille épanouie, un succès professionnel XXL.
« J’ai réussi ma vie d’artiste, ma vie de femme. Que demander de plus ? » résumera-t-elle en 2004 au « Parisien » malgré les nuages, noirs, qui se sont installés au-dessus de sa tête entre-temps avec la mort de Michel Berger en 1992, puis celle de sa fille Pauline cinq ans plus tard.
Un saut dans le temps.
Samedi 5 novembre 2022. La Seine musicale à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), accueille une flamboyante nouvelle version de « Starmania ». Succès, guichets fermés. Assis au rang derrière le nôtre, son fils, Raphaël Hamburger (le vrai nom de Michel Berger), aux manettes de cette superproduction mise en scène par Thomas Jolly, assiste, ému, à la renaissance de l’opéra rock composé par son père.
Sur scène, l’ombre du pianiste à la chevelure bouclée est omniprésente. Soudain, sur un écran apparaît le tout premier visage de Cristal. La voix de France Gall, qui préparait le retour de la comédie musicale avant de disparaître à 70 ans le 7 janvier 2018, enveloppe l’assemblée dans un moment suspendu. Dans la salle, un ange est passé. Dans nos vies aussi.
Magazine : Le Parisien
Par Grégory Plouviez
Date : 8 janvier 2023
Numéro : 24 374 bis
Merci à Philippe Lefèvre pour cet article.