Dans les bras de Raphael avec tous les amis réunis, une mère qui « résiste ».
A l’heure du dernier adieu, France s’est réfugiée dans les bras de Raphaël. Pauline, la tant aimée, repose désormais au cimetière de Montmartre.
Autour d’une enfant toujours à bout de souffle puis d’une adolescente fragile, soumise au long calvaire de la mucoviscidose, torturée par les crises qui l’étouffaient, la conspiration du silence et de l’amour a ménagé l’espace indispensable pour lui permettre de respirer le mieux possible. Le courage de Pauline a fait le reste. Elle refusait de se plaindre. A notre demande, pour la mémoire d’une jeune fille exemplaire, France Gall nous a confié ses photos et le texte qu’elle a lu devant la tombe ouverte. A travers ces témoignages, ces portraits, voici l’histoire de la jolie Pauline, morte à 19 ans. Pendant des années, la fille de France Gall et Michel Berger a vécu en secret sa maladie. A présent, elle a quitté ce monde irrespirable. Mais pour tous ceux qui l’ont connue, elle restera comme un hymne à la vie.
Elle était jolie, intelligente, sensible, pleine de talent. Elle se savait très malade mais elle se battait. Au fil des ans, l’enfant gaie et drôle au caractère bien affirmé est devenue une jeune fille ravissante. Michel et France, puis France seule, courent le monde pour consulter les plus grands spécialistes de la mucoviscidose et, tout en assurant à leur fille les meilleurs traitements, l’aident à vivre aussi normalement que possible. Pauline, aidée par sa famille, par ses amis, fait ses études, suit même des cours de danse. Elle aime sortir et s’amuser. Adolescente, elle redécouvre sa passion d’enfant : le dessin. En septembre 1996, elle entre dans une école d’art qu’elle a dû quitter en mai dernier, trop faible pour suivre les cours. Mais elle continue à dessiner et un des professeurs vient la voir chez elle, un maillon de la chaîne d’amour et de solidarité que la vaillance a soudée autour d’elle.
A Montmartre, France luit dit :
“Au revoir ma chérie et respire maintenant.”
C’est une cérémonie simple, laïque, à laquelle assistent, venus à bord de deux cars affrétés par France, les amis, les copains de Pauline, tous ceux qui, pendant près de trois jours, se sont succédé dans la chambre où reposait la jeune fille pour lui dire une dernière fois, avec des petits mots : des petits bouquets, leur infinie tendresse. Michel est enterré au cimetière de Montmartre, sous une dalle individuelle, comme son père. Comme, bientôt, Pauline. France, dans la nuit, a écrit un texte d’adieu qu’elle lit, la voix brisée par l’émotion devant le cercueil.
Ode à Pauline par France Gall
Le 18 décembre 1997
Il n’y a pas, je dis bien pas, une personne qui ait croisé le regard de Pauline, même furtivement, qui ne se soit pas arrêtée quelques instants sur elle. Elle dégageait quelque chose d’autre que les autres : elle n’était pas tout à fait comme les autres. Moi, je la trouvais extraordinaire mais c’était pour moi normal de penser ça.
Si les gens s’arrêtaient sur elle, ce n’était pas tant parce qu’elle avait les plus beaux yeux du monde (et là, je sais qu’elle sera sensible à ce compliment) mais c’est parce qu’il y avait un truc derrière qu’on appelle, nous, la Profondeur.
Le pouvoir de déclencher l’hilarité juste avec son rire. Le pouvoir de nous apprendre la patience.
Le pouvoir de se faire aimer jusqu’à en briser le cœur d’un père. Le pouvoir de souffrir en secret.
Le pouvoir d’être quand même heureuse dans cette vie irrespirable. Et, surtout, le pouvoir de nous pousser à Donner.
Annie et Nane ont eu les gestes d’une maman.
Raphaël a donné son enfance et a su passer du petit frère au grand frère.
Les amis de Pauline ont accepté d’abandonner une partie de leur insouciance d’année en année. Et Michel a tout donné.
Ma chérie, Raphaël, moi et tout le monde ici, nous sommes là pour te dire Au revoir.
Et respire maintenant !
Pauline par Philippe Chatiliez, son parrain.
Propos recueillis par Isabelle Leouffre et Pépita Dupont
« J’adorais ses colères, ses émerveillements, ses engueulades avec son frère, son insatiable curiosité ».
J’étais l’ami de lycée de Michel. Je suis devenu le complice de France, puis le parrain de Pauline. Un parrain symbolique, puisqu’elle n’était pas baptisée. Pauline était une enfant touchante. Dans son regard cohabitaient une profondeur, un formidable appétit de la vie et une grande capacité à l’émerveillement, avec une spontanéité et des rires ponctués de « Ah, ouais ?!» interrogatifs. Pauline était d’une nature riche, complexe, intelligente. Il y a plusieurs périodes de Pauline : Pauline, enfant, avant la prise de conscience de sa maladie. Pauline à la prise de conscience de sa maladie au moment de la pré-adolescence, et Pauline avec la pleine conscience de sa maladie, à l’entrée dans l’âge adulte. Ce n’était donc pas une enfant comme les autres. Obligée d’être régulièrement soignée, entourée en permanence. Et sa mauvaise santé a conditionné la vie et la pensée de Pauline, et celles des siens. Avec des grands moments de bonheur, car on ne peut pas vivre en permanence dans l’idée de la maladie, sinon le rapport à l’autre n’existe plus.
J’adorais les colères de Pauline, ses engueulades mémorables avec son frère. C’était une formidable abolition de la maladie que de parvenir ainsi à établir un rapport normal, de conflit et de violence. Les” Putain, merde, fais chier !» de Pauline sont légendaires. Pester contre tout et rien. J’ai adoré ses émerveillements, sa soif de savoir, son insatiable curiosité. Je me souviens de dîners chez France avec tous les amis de Pauline où les discussions s’éternisaient : sur la vision du monde, la vie, les choix philosophiques ou politiques, les valeurs, les engagements qui forgent un adolescent et l’aident à passer à l’âge adulte … Des conversations profondes, graves et drôles à la fois. Les jeunes qui entouraient Pauline sont tout sauf une bande de petits cons. Pauline, malgré elle, les a obligés à grandir différemment. Jeremy Jacob, Thomas Schonberg, Cécile, l’amie de maternelle, ont eu très tôt le sentiment d’appartenir à un groupe à part. France et Michel ont toujours ouvert leur maison, ce qui a poussé tout naturellement les enfants à cultiver le sens de l’amitié, de l’hospitalité, de la confiance mutuelle, tout en essayant de ne pas devenir un clan qui se couperait du monde.
Depuis la mort de Michel, c’est France, épaulée par Nan et par Annie, qui a porté sur ses épaules l’organisation très délicate de la vie de sa fille. Pauline m’a toujours laissé jouer mon rôle d’ami de ses parents. J’avais également une autre utilité dans les moments de solitude avec elle : lui parler de son père, qu’elle n’a connu que jusqu’à 13 ans. Ils étaient très proches, ils se sont tellement aimés. J’avais encore tant de choses à lui dire pour l’éclairer …
Elle adorait passer ses vacances dans leur maison de Ramatuelle. Pour la nature, l’endroit, la villa que ses parents avaient construite. C’était la terre d’élection de son père, là où il a trouvé la mort. France et les enfants y retournent chaque été.
Pauline a toujours dessiné. Je me souviens de notre trouble devant ses coups de pinceau très figuratifs et colorés, des collages très « Picassiens », alors qu’elle était si petite. Michel en avait été ému aux larmes. Nous nous disions, nous, profondément athées, que c’était peut-être Dieu qui offrait ainsi des compensations.
Je ne connais pas tout de Pauline. Je connais la Pauline qui s’est montrée à moi. Mais je sais qu’elle avait la grâce, celle du formidable être humain qu’elle était. Et qui nous donnait la force de nous comporter, à notre tour, en êtres humains.
M. Hourde, son professeur de dessin.
« C’était un ange. Dans ses projets d’autoportrait, c’est toujours le blanc qui prédominait ».
Accompagnée de sa mère, Pauline s’est inscrite parmi nous en septembre 1996. Une de leurs amies avait repéré notre école de dessin en allant au théâtre situé au-dessus de notre atelier. Pauline était si belle, si frêle, si jeune aussi. Elle allait avoir 18 ans. Il émanait d’elle une force particulière, Une aura. Son style artistique, plutôt pur et naïf au début, a gagné en maturité au fil des mois. Sa grande sensibilité lui a permis de progresser rapidement. Discrète, elle s’est intégrée au groupe par petites touches. Jamais elle n’a révélé à quiconque qu’elle était la fille de Michel Berger et de France Gall. Jamais elle n’a donné le nom de sa maladie. Elle voulait être considérée pour ce qu’elle était. Elle y est très bien parvenue : tous les élèves oubliaient ce qui la rendait différente. Seules les quintes de toux, qui survenaient en général après des crises de fou rire, car Pauline adorait rire, leur rappelaient qu’elle souffrait. Le rire de Pauline, si frais, presque cristallin. Le regard de Pauline, où se mêlaient inquiétude et curiosité …
Pauline était magique. Magique, parce que tous les efforts qu’elle fournissait en secret pour lutter contre sa maladie lui conféraient une part de mystère. Magique, car elle concevait, à partir de trois fois rien, des travaux magnifiques. Pauline était un ange. Dans ses projets d’autoportrait, c’était toujours le blanc qui prédominait. Son dernier dessin était à la fois pathétique et beau. Je lui aurais mis 18 sur 20. Au mois de mai de cette année, son état de santé s’est aggravé.
Elle a définitivement arrêté de suivre nos cours. En revanche, volontaire et passionnée, elle a tenu à poursuivre l’école à domicile. A la rentrée de septembre, nous l’avons donc inscrite normalement en deuxième année. Deux fois par semaine, un de nos professeurs se rendait à son chevet, emmenant les travaux de ses camarades, remportant avec lui les dessins de Pauline pour les montrer. Ainsi continuait-elle à faire partie intégrante de la classe. Tous les étudiants en avaient d’ailleurs pleinement conscience. Cet échange continu, nous l’avons souhaité pour Pauline, pensant que c’était pour elle la meilleure des thérapies.
Pauline était aimée de tous. Nous avons eu une chance immense de la connaître. Lorsque, ce mardi matin, nous leur avons appris son décès, les élèves se sont effondrés, en larmes, en deuil. Je les ai autorisés à se rendre à l’enterrement. Je n’ai pu y aller. Mais je suis passé la veille dire au revoir à Pauline. J’appréhendais l’instant où j’allais me retrouver seul face à la mort. Ce fut, curieusement, l’effet inverse. Pauline reposait dans sa chambre, entourée des photos de son père, de son frère, des gens qu’elle aimait. Des milliers de petits messages d’amour recouvraient le lit. Elle ressemblait à la Belle au bois dormant, plongée dans un sommeil d’éternité. C’était comme un merveilleux tableau, le plus beau qu’elle m’ait donné d’admirer …
Claude Michel Schönberg, son tuteur.
« Elle adorait les animaux. Pour ne pas réveiller mon bébé labrador, elle tentait de résister à ses violentes quintes de toux ».
Après la mort de Michel Berger, leur père, Raphaël et Pauline ont décidé que je serais leur tuteur. J’ai été très touché et profondément bouleversé. Ces enfants, je les ai vus naître, car j’étais ami de Michel depuis 1966. Nous avons débuté ensemble chez Pathé-Marconi, et j’ai connu France plus tard, lorsque Michel lui a écrit « La déclaration ».
Pauline est née le 14 novembre 1978, et mon fils, Thomas, le même jour, deux ans plus tard.
Mes premiers souvenirs de Pauline enfant remontent à Ramatuelle où nous avions loué une maison avec Michel et France pour les vacances d’été. Pauline, à 2 ans et demi, était belle à croquer et très gaie. C’est moi qui l’ai emmenée pour la première fois faire un tour de manège à Saint-Tropez. Je me souviens, dans la voiture, elle m’avait dit : « Tu sais, j’ai peur d’aller dans la piscine. » Je lui avais répondu : « Tu n’as pas à avoir peur, ta maman ne te demandera jamais quelque chose qui puisse te faire du mal » Pauline était une petite fille drôle, pleine d’humour. Son rire était communicatif.
Mais, malgré tout, France sentait que quelque chose n’allait pas. Instinctivement, elle a su que Pauline avait un problème de santé. Pourtant, les médecins ne cessaient de la rassurer. A force d’entêtement, France a rencontré un professeur qui a fait passer des tests à Pauline et qui a découvert qu’elle était atteinte de la mucoviscidose. Michel et France ont alors tout fait pour que leur fille ait une vie aussi normale que les autres enfants. Pauline n’a pas tout de suite été consciente de son mal mais, en grandissant, elle a réalisé que les traitements qu’elle subis sait étaient lourds et pénibles : une kinésithérapie respiratoire quotidienne, un régime alimentaire, etc. On ne se rendait pas tout de suite compte que Pauline était malade. Elle adorait les animaux. A Paris, elle avait un chat, Jimmy, et à Ramatuelle, un chien, Massai. Je me souviens d’un soir, elle était venue dîner à la maison avec son frère et France, car elle voulait voir Jules, mon labrador, que je venais d’acheter. Il était encore tout bébé. Pauline s’est assise dans un fauteuil et l’a pris sur ses genoux. Confiant, Jules s’est endormi. Et, pour ne pas le réveiller, Pauline tentait de résister le plus possible à ses violentes quintes de toux. Cette image poignante restera gravée dans ma mémoire.
Pauline a toujours eu un physique très particulier, comme ses parents. Elle ne ressemblait à personne. Ses yeux verts étaient très clairs. Elle aimait beaucoup s’habiller de noir et soignait son look. Elle avait une très forte personnalité. Elle avait hérité du côté têtu de sa mère et de son père, la discrétion et la pudeur. Elle ne parlait presque jamais de sa maladie. La mort de Michel l’a beaucoup choquée et a provoqué une cassure terrible dans sa vie. Pauline s’émerveillait de tout. Lorsqu’on allait voir un film ensemble ou un spectacle, elle le recevait pleinement, et elle adorait, bien sûr, voir ses parents sur scène. Elle était très fière d’eux et ne souffrait pas du tout de leur célébrité.
Pauline tournait aussi des vidéo-clips, pendant les vacances, avec sa bande de copains. Un été, à Ramatuelle, elle jouait un rôle avec une amie, son frère, et mon fils, qui assurait la mise en scène, sur la chanson de Céline Dion « Pour que tu m’aimes encore ». Elle était rayonnante de beauté. Ce jour-là, le fils de Claude Zidi était derrière la caméra. C’est merveilleux et cruel à la fois de pouvoir aujourd’hui la revoir ainsi.
Comme toutes les filles de son âge, Pauline regardait M.T.V. et les sitcoms. Et, bien sûr, elle était branchée musique. La grande passion de Pauline, c’était la peinture. Elle suivait des cours dans une école d’arts graphiques. J’ai gardé la petite maison aux couleurs gaies qu’elle m’avait dessinée, enfant sur un Post-t. Ainsi qu’un autre dessin représentant un piano. Ce sont des souvenirs doux et, en même temps, j’éprouve une grande souffrance.
Pour les dernières vacances de la Toussaint, France a emmené Pauline à Rome pour visiter la chapelle Sixtine. Elle en est revenue émerveillée, comme subjuguée devant tant de beauté. Pauline en parlait tout le temps.
Pour ses 19 ans, le 14 novembre dernier, France a loué le Niel’s. Pauline portait une longue robe noire et elle était heureuse d’être avec tous ses amis. Ils ont été extraordinaires. Chaque fois que Pauline avait des problèmes de santé plus préoccupants, ses copains lui téléphonaient ou lui laissaient des petits mots drôles et affectueux qu’elle découvrait sur son Tam Tam. Je suis bouleversé, comme mon fils et ma femme, et je pense beaucoup à Raphaël, qui a été merveilleux pour Pauline.
Magazine : Paris Match
Numéro du 31 décembre 1997
Numéro : 2536